OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Diabétiques et alcooliques: sur la route même combat http://owni.fr/2011/05/18/diabetiques-et-alcooliques-sur-la-route-meme-combat/ http://owni.fr/2011/05/18/diabetiques-et-alcooliques-sur-la-route-meme-combat/#comments Wed, 18 May 2011 14:55:54 +0000 Claire Berthelemy et Jérémy Joly http://owni.fr/?p=57667

Votre permis ne pourra être valable que pour cinq ans, monsieur. Ensuite vous devrez revenir devant la commission pour voir si vous êtes encore en état de conduire.

Cette phrase, à quelques mots près, les jeunes diabétiques sont nombreux à l’avoir entendue en allant s’inscrire pour passer leur permis de conduire. Une phrase par laquelle ils ont appris cette curieuse exception : pour eux, le permis B n’est pas définitif.

Cette version provisoire n’a pourtant pas toujours existé. Depuis 2006, la loi française permet aux diabétiques et épileptiques – entre autres -, d’obtenir un permis définitif. Cela faisait plus de dix ans que les malades attendaient. Mais en septembre 2010, une directive européenne transposée dans le droit français les range dans la même case que les déficients mentaux, les analphabètes, les personnes souffrant de psychose aiguë et celles amputées des membres inférieurs.

Le permis de conduire n’est ni délivré ni renouvelé lorsque le candidat ou conducteur souffre d’hypoglycémie sévère récurrente et/ou d’une conscience altérée de l’hypoglycémie. Un conducteur diabétique doit prouver qu’il comprend le risque d’hypoglycémie et qu’il maîtrise la maladie de manière adéquate.

Une décision contestée par les malades et les médecins, soutenus par des députés et sénateurs, de gauche comme de droite.

Médecins des commissions et controverses

Les risques liés au diabète sont jugés en commissions médicales primaires, chargées de contrôler l’aptitude physique et mentale à la conduite. Pour la majeure partie des rendez-vous, les médecins voient passer des suspensions de permis pour … conduite en état d’ivresse [PDF](( La convocation est la même quelque soit le motif, la partie rayée correspond à la prise de sang demandée pour les personnes alcooliques, le prélèvement des GammaGT associé à celui des CDTect )). De quoi expliquer les questions parfois curieuses posées aux personnes convoquées, comme cette jeune diabétique qui raconte son entretien :

J’ai dû montrer aux deux médecins présents que je pouvais tenir sur une jambe et que non, je ne buvais pas et ne me droguais pas.

Les médecins membres des commissions – qui, malgré nos très nombreux appels, n’ont pas souhaité répondre aux questions d’OWNI – présentent des profils très variés et ont payé une formation obligatoire. L’Institut National de Sécurité Routière et de Recherches, qui s’occupe de l’ensemble des formations, reconnaît en interne ne « consacrer que très peu de temps au diabète parce que c’est une pathologie compliquée et que la formation ne dure que trois jours ». Mais le docteur Puygrenier, chargé des formations avance une autre « hypothèse »:

Les patients n’ont pas le résultat qu’ils attendent, alors avec le lobbying des associations de diabétiques, ils rejettent la faute sur les médecins.

Mais les nombreux témoignages tendent à montrer que les membres des commissions n’ont pas toujours les compétences requises pour juger de la dangerosité — relative — d’un diabétique au volant. Complexe, le diabète existe sous plusieurs formes. Le docteur Marc de Kerdanet, spécialisé dans le suivi des jeunes diabétiques, rapporte ainsi qu’un « membre d’une commission avait demandé à une jeune fille de 17 ans comment elle se soignait ». Or à son âge, un seul type de traitement est disponible : l’insuline puisque le diabète ne peut qu’être insulinodépendant pour cette tranche d’âge, à quelques rares exceptions près. Ce que n’importe qui peut découvrir en quelques clics sur Wikipedia

Autre élément surprenant : le non-remboursement des frais de transports et des frais médicaux. Marie-France, internaute active sur le sujet et mère d’un diabétique, raconte ainsi avoir payé plus de 270 € de frais médicaux, à force d’être ballottée de commissions en spécialistes à travers tout son département. Lorsqu’elle demande un remboursement, la réponse est lapidaire [PDF] :

Les 150 € que votre fils a dû verser se justifient par la durée de la visite — environ une heure — et par la finalisation du dossier. Je précise que chaque médecin a reçu 75 €.

Une réponse qui ne tient pas compte des recommandations de la Halde, pourtant entérinées par ce même secrétaire d’État en mai 2009 : « La Halde avait recommandé au ministre chargé des Transports de modifier la circulaire afin que la gratuité des visites médicales aux personnes titulaires du permis de conduire soit accordée à toute personne pouvant justifier, à quelque titre que ce soit, d’une reconnaissance de son handicap. »

Aujourd’hui, le tarif s’élève encore à 24,40 € pour la commission principale et 60 € pour la commission d’appel, à ajouter aux spécialistes, frais de transports et jours de congés à poser… aucun élément de cette liste n’étant remboursé.

En vertu du principe de non-rétroactivité, les personnes ayant obtenu le permis de conduire avant que leur diabète ne se déclare ne sont pas concernées et ne doivent donc pas passer devant la commission médicale (hors infractions graves). Pourtant l’ensemble de la réflexion est basée sur l’idée que le diabète peut impacter la santé du malade sur la durée, notamment en terme de vision. Plus le diabète est ancien, plus il serait donc potentiellement dangereux, selon cette logique.

Mais aucun élément chiffré ne permet aux praticiens d’évaluer les éléments cités : impossible de graduer la conscience d’un risque. Le seul critère visible pour la commission étant l’occurrence, au cours des douze derniers mois, de deux hypoglycémies sévères (avec intervention d’une tierce personne de type secours professionnels). La commission se base donc principalement sur la parole du diabétique, et ses éventuels a priori sur la maladie.

On observe donc logiquement des disparités entre les différentes commissions. Un problème souligné par le sénateur PS du Val-de-Marne, Serge Lagauche, qui, dans le cadre d’une question au gouvernement en novembre dernier, montre que “les associations de malades diabétiques s’inquiètent des discriminations que pourraient entraîner ces modifications” :

En effet, des différences très importantes ont été constatées entre départements dans les conclusions des commissions médicales préfectorales. Ces distorsions créent de fait des inégalités inacceptables entre départements pour l’obtention ou le renouvellement du permis de conduire.

Un a priori de l’ordre de la discrimination

A l’origine de l’évolution législative, on trouve une volonté d’harmoniser les situations au niveau européen. Par exemple en Belgique, un permis était considéré comme “périmé” dès l’instant où le diabète se déclarait, alors que l’Espagne avait déjà adopté le permis renouvelable tous les cinq ans depuis 1969. En 2003, on comptait ainsi 80 types de permis différents en Europe.

Un groupe de travail européen constitué de 11 spécialistes du diabète a donc livré un rapport en juillet 2006 [PDF/EN] concluant que “la stabilité du diabète et les éventuelles complications changent avec le temps. Nous proposons donc que les diabétiques soient évalués régulièrement, dans un délai maximum de cinq ans. “. Or, dans ce même rapport, ils précisent que “les différentes études montrent que le taux de risque est sensiblement le même entre les personnes diabétiques et non-diabétiques” et que “les principales complications médicales liées au diabète peuvent apparaître aussi chez des personnes non-diabétiques”.

Le docteur Juan Carlos Gonzales Luque, membre de ce groupe de travail et conseiller médical à la Sécurité routière espagnole, précise que le risque principal réside dans “une détérioration [de l'état de santé du malade] plus rapide que chez les personnes non-diabétiques”.

A la Commission européenne, Gilles Bergot, expert en transports, reconnaît que “les résultats des études sont assez hétérogènes” mais insiste sur le fait que “c’est une question de sécurité routière”. Une fausse excuse selon le Docteur de Kerdanet, qui a lutté de nombreuses années au fil des évolutions de la législation française :

C’est basé sur un a priori qui est de l’ordre de la discrimination. On dit qu’il y a un risque alors que toutes les études indiquent le contraire !

Discrimination, c’est le mot-clé qui revient dans les témoignages des diabétiques et à ce sujet leurs craintes sont nombreuses.

À commencer par l’emploi. En effet, lorsque votre permis a une durée de vie “limitée”, un employeur prendra-t-il vraiment le risque de vous embaucher ? Si un exemplaire du permis n’est pas demandé pour tous les métiers, les chauffeurs routiers, de taxis ou les commerciaux pourraient rencontrer des difficultés. Surtout quand pour les détenteurs de permis poids lourd, la loi est encore plus restrictive, la validité du permis étant de 3 ans maximum pour les diabétiques, contre 5 ans pour les non-diabétiques.

La personne diabétique ayant donc un permis de conduire provisoire, son lieu d’habitation doit être fonction de ses possibilités de déplacement : l’implantation géographique de son logement est primordiale et surtout conditionnée par les transports en communs qui se doivent d’être suffisants. Si son logement n’est pas à proximité d’un réseau conséquent de bus/métro/train, impossible d’accéder à un bassin d’emploi de façon pérenne. Or, quel employeur parierait sur une personne dont le permis est provisoire et qui peut être amené à lui demander “si le lieu de travail n’est pas trop loin de son logement” ?

Mais comme le souligne Gilles Bergot, “il est possible de déposer plainte contre la France à la Commission européenne pour mauvaise application de la directive européenne. La difficulté de celle-ci étant de trouver un équilibre entre principes et détails, proposer des lignes directrices plus précises est la meilleure solution.” :

> Illustrations Flickr CC Françoisetfier et Jahovil

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La victoire culturelle de l’antitabagisme http://owni.fr/2011/04/28/la-victoire-culturelle-de-l-antitabagisme-tabac-fumer-cigarettes/ http://owni.fr/2011/04/28/la-victoire-culturelle-de-l-antitabagisme-tabac-fumer-cigarettes/#comments Thu, 28 Apr 2011 08:30:48 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=59549 Décrite comme une décision gouvernementale, l’apposition de messages visuels sur les paquets de cigarettes, obligatoire en France depuis le 20 avril, est présentée par la presse comme une mesure plus spectaculaire que vraiment efficace. Il s’agit pourtant de la plus vaste expérience de psychologie sociale jamais réalisée à propos des effets de l’image, et la manifestation exemplaire de l’une des plus importantes évolutions d’une pratique culturelle dans les pays développés.

Dernier épisode dans la lutte d’un demi-siècle qui oppose l’une des plus puissantes industries au lobbying d’une minorité agissante, le retournement des images est la signature de la victoire du bien sur le mal, de la santé sur la maladie et de la morale sur le vice. Elle ne doit que peu de choses à l’échelle de la décision gouvernementale, et témoigne au contraire de l’extension toujours plus grande de la nouvelle gouvernance des experts, qui impose ses décisions à l’échelle mondiale par un système opaque de recommandations étayées par l’expertise scientifique.

L’invisibilité de cette procédure et l’incapacité du système médiatique à mettre en récit des dynamiques d’une telle ampleur sont parfaitement illustrées par le traitement anecdotique sur le mode du fait-divers qui a accueilli la mise en conformité française.

La convention-cadre pour la lutte antitabac (Framework Convention on Tobacco Control) est un traité international proposé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), adopté le 21 mai 2003, et signé par presque tous les Etats du monde.

(1) Paquets de cigarettes illustrés d'avertissements visuels (Suisse).

Il prévoit le déploiement d’un vaste ensemble de mesures, dont la hausse des prix du tabac, l’interdiction de la publicité, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, le développement de programmes d’aide à la cessation de fumer, la protection des non-fumeurs, la restriction de la vente aux mineurs et l’imposition à l’industrie de la publications d’avertissements illustrés sur les paquets de cigarettes.

Cette mesure visuelle s’insère donc dans un dispositif beaucoup plus large et ne peut être observée séparément de son contexte. Contrairement aux apparences, son introduction tardive dans le cadre de la lutte antitabac constitue une anomalie remarquable.

Santé publique et dramatisation visuelle

Les campagnes de santé publique sont la forme la plus ancienne d’utilisation par les Etats des moyens de la propagande moderne, qui associe les outils administratifs et législatifs à une large mobilisation culturelle, par l’intermédiaire de campagnes médiatiques et éducatives concertées.

La présence d’”images-choc” dans ces campagnes n’a rien d’une nouveauté. En France, dès la fin du XIXe siècle, la lutte contre l’alcoolisme, la syphilis ou la tuberculose forme le laboratoire d’un activisme dont les principaux ressorts sont la dramatisation et l’appel aux valeurs morales.
Une «propagande obsédante» élabore un discours destiné à terrifier l’opinion publique, où chaque fléau est décrit comme une menace de mort pour l’humanité toute entière (Corbin, 1977).

(2) "Alcoolisme", planche du Larousse médical illustré, E. Galtier-Boissière, 1902. (3) Tableau d'anti-alcoolisme du Dr Galtier-Boissière, tableaux muraux Armand Colin, 1900.

Cette pédagogie de l’horreur s’appuie largement sur l’image. Le Tableau d’anti-alcoolisme du Dr Emile Galtier-Boissière a été rendu célèbre par Marcel Pagnol (voir ci-dessus). Dans La Gloire de mon père, il témoigne de l’effet de ces tableaux effrayants qui tapissaient les murs des classes.

On y voyait des foies rougeâtres, et si parfaitement méconnaissables (à cause de leurs boursouflures vertes et de leurs étranglements violets qui leur donnaient la forme d’un topinambour), que l’artiste avait dû peindre à côté d’eux le foie appétissant du bon citoyen, dont la masse harmonieuse et le rouge nourrissant permettaient de mesurer la gravité de la catastrophe voisine.
Les normaliens, poursuivis, jusque dans les dortoirs, par cet horrible viscère (sans parler d’un pancréas en forme de vis d’Archimède, et d’une aorte égayée de hernies), étaient peu à peu frappés de terreur.

(4) "La syphilis c'est vraiment la grande meurtrière des enfants", L. Viborel, La technique moderne de la propagande d’hygiène sociale, 1930.

Dès les années 1920, le cinéma est mis au service de la santé publique. Lucien Viborel, activiste de l’éducation sanitaire, loue le «pouvoir de suggestion» de l’image (De Luca Barrusse, 2009).
Selon Valérie Vignaux, la cinémathèque du ministère de l’Hygiène sociale dispose en 1930 d’un catalogue de 500 films éducatifs, destinés à être projetés et commentés dans les écoles, les entreprises ou les salles communales (Vignaux, 2009).

La science contre l’image

Le mouvement antitabac se structure aux Etats-Unis à partir des années 1950. C’est le caractère tardif de la mise en évidence des dangers de la cigarette qui explique ses principales caractéristiques, à commencer par le refus d’une posture abolitionniste, dont la prohibition des boissons alcoolisées (1919-1933) a montré les limites.

En outre, la lutte antitabac ne recourt qu’exceptionnellement à l’arme visuelle. Après une période fortement marquée par la propagande étatique, l’information scientifique se veut plus sérieuse, préfère avancer des preuves plutôt que de jouer du registre de la stigmatisation dramatisée.

Quand elle prend une forme visuelle, l’illustration des méfaits du tabac s’appuie encore sur l’image du laboratoire. En 1953, Life contribue a populariser l’expérience d’Ernst Wynder qui, en provoquant une proportion inquiétante de tumeurs malignes chez des souris badigeonnées de résidus nicotiniques, installe l’idée de la haute toxicité de la cigarette.

(5) "Smoke gets in the news", Life, 21 décembre 1953, p. 20-21.

Plus encore, dans le cas du tabac, tout se passe comme si le terrain de l’image était déjà occupé. Par la publicité, qui valorise la cigarette, produit si simple et si uniforme, par la sollicitation constante de l’imaginaire et l’association de sa consommation avec diverses qualités individuelles, styles de vies ou comportements sociaux (voir ci-dessous).

Publicités Lucky Strike: (6) années 1930; (7) années 1940; (8) années 1950.

Cette versatilité fantasmatique trouve tout particulièrement sa place au cinéma, avec le soutien actif des industries du tabac. Attribut de la virilité comme de la sensualité, de la rébellion comme du glamour, la cigarette est devenue à l’écran la compagne de toutes les emphases, de tous les abandons (voir ci-dessous).

Aucune pratique sociale n’a connu une telle exposition, au point que l’omniprésence de cet accessoire entraîne souvent des désagréments lorsqu’il faut mobiliser un document visuel de la première moitié du 20esiècle.

(9) Robert Coburn, portrait de Rita Hayworth, Gilda, 1946. (10) Publicité Chesterfield, Ronald Reagan, 1952. (11) James Dean, photo de tournage, Giant, 1955.

Plutôt qu’entreprendre une vaine guerre des images, le mouvement antitabac a préféré soutenir la recherche, puis s’appuyer sur ses résultats pour développer l’arme juridique. Si des publicités institutionnelles ont accompagné les messages de santé publique, la dimension visuelle n’a joué qu’un rôle annexe à côté des ressources du savoir et de la loi, qui ont été les principaux outils du renversement des pratiques.

Des images pour salir l’image

Dans les directives expliquant l’application de l’article 11 (conditionnement et étiquetage des produits du tabac) de la convention-cadre de l’OMS, on retrouve l’invocation des motifs canoniques de l’usage des images, comme «l’impact émotionnel» ou le ciblage de «personnes peu instruites, d’enfants et de jeunes». La principale innovation de cette mesure n’est pas commentée. Faire apposer l’image directement sur le produit, aux frais du producteur, est pourtant une proposition d’une portée décisive, qui transforme l’espace du combat en confiant à l’adversaire l’arme destinée à le tuer.

Plutôt que le maintien d’un théâtre de l’affrontement, cet envahissement sémiotique est déjà la marque de la victoire, qui justifie le recours tardif à l’image. Autant il ne servait à rien d’occuper ce terrain lorsque la consommation tabagique était la norme, autant son investissement témoigne de l’inversion acquise de la perception des comportements. Les antitabac ont gagné. Fumer était in et glamour. C’est désormais le triste symptôme d’une addiction non maîtrisée, un geste compulsif voué à disparaître, ou l’indice d’un manque de confiance en soi.

Les images dites “choc” n’ont pas pour fonction de stigmatiser une pratique. Ce qu’elles manifestent de la manière la plus évidente est la perte de la bataille de l’image par les cigarettiers. Nul besoin d’en faire trop. Contrairement à une lecture superficielle, cette iconographie ne comporte qu’un petit nombre d’images brutalement déplaisantes (voir ci-dessous).

Elle comprend en revanche, en proportion plus importante, des photographies informatives ainsi que plusieurs illustrations allégoriques (dont certaines empruntées à une banque d’images des plus classiques): un couple qui se tourne le dos pour évoquer l’impuissance, une poussette vide pour rappeler la réduction de la fertilité, une seringue pour suggérer la dépendance, deux mains qui se rejoignent pour signifier l’aide à la cessation de fumer (voir ci-dessous)…

L’encadrement noir uniformise cette imagerie disparate dans une même ambiance funèbre. En réalité, plus que par les photos, la connotation trash est produite par l’emprunt des codes graphiques de la presse à scandale: titraille blanche et rouge sur fond noir, encadrés contrastés – une impression de violence essentiellement symbolique.

A la question de l’efficacité de cette option, plusieurs enquêtes effectuées dans des pays ayant appliqué la réglementation répondent de façon mesurée. Réalisé en 2008, le rapport australien, très complet, présente notamment l’intérêt de comparer l’introduction des messages visuels avec celle des avertissements textuels, en 2000. L’étude confirme essentiellement les idées les plus banales sur l’effectivité des images, à savoir que les images-choc sont celles qui sont les plus mémorisables, ou que l’effet le plus important concerne la population qui a l’intention d’arrêter de fumer. Au total, les visuels semblent avoir un impact non négligeable, mais loin d’être décisif isolément.

A la différence des cigarettiers, qui avaient tout misé sur la dimension fantasmatique, l’élément iconographique n’est qu’un facteur parmi d’autres dans la stratégie du mouvement antitabac. Il n’en a pas moins une mission de première importance: symboliser la défaite culturelle d’une pratique autrefois valorisée par l’image. Si les fumeurs peuvent dissimuler par divers expédients cette marque d’infamie, ils ne peuvent empêcher l’effondrement imaginaire dont elle est la preuve.


Publié intialement sur Culture Visuelle, L’atelier des icônes, sous le titre “Le renversement des images, victoire culturelle de l’antitabagisme”
Crédits photo et illustrations : Via Flickr André Gunthert © tous droits réservés ; Rita Hayworth [cc-by-nc-nd] dans la gallerie de RM9


Bibliographie
Jeff Collin, Kelley Lee, Karen Bissell, “The Framework Convention on Tobacco Control. The Politics of Global Health Governance”, Third World Quarterly, 2002/23, n° 2, p. 265-282.
Alain Corbin, “Le péril vénérien au début du siècle. Prophylaxie sanitaire et prophylaxie morale”, Recherches, n° 29, décembre 1977, p. 245-283.
Virginie De Luca Barrusse, “Pro-Natalism and Hygienism in France, 1900 – 1940. The Example of the Fight against Venereal Disease”, Population, 2009, n° 3/vol. 64.
Lion Murard et Patrick Zylberman, L’Hygiène dans la République. La santé publique ou l’utopie contrariée, 1870-1918, Paris, Fayard, 1996.
Robert L. Rabin, Stephen D. Sugarman (dir.), Regulating Tobacco, Oxford, Oxford University Press, 2001.
L. L. Shields, Julia Carol, Edith D. Balbach, Sarah McGee, “Hollywood on Tobacco. How the Entertainment Industry Understands Tobacco Portrayal”, Tobacco Control, 1999/8, n° 4, p. 378-386.
Will Straw, “True Crime magazines. Stratégies formelles de la photographie d’actualité criminelle”, Etudes photographiques, n° 26, novembre 2010, p. 86-106.
Valérie Vignaux, “L’éducation sanitaire par le cinéma dans l’entre-deux-guerres en France”, Sociétés & Représentations, 2009/2 (n° 28), p. 69-85.

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Free Cultures: des levures au service des Indonésiens http://owni.fr/2011/04/03/free-cultures-des-levures-au-service-des-indonesiens/ http://owni.fr/2011/04/03/free-cultures-des-levures-au-service-des-indonesiens/#comments Sun, 03 Apr 2011 14:00:37 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=54908 À l’occasion de la présentation d’Intelligent Bacteria:Saccharomyces Cerevisiae à la Gaité Lyrique dans le cadre du festival Mal au Pixel qui aura lieu du 9 au 19 juin à Paris, nous vous proposons de relire l’histoire de cet alcool do-it-yourself. Nichée sous les toits du bâtiment, l’installation nous fait entendre une douce mélodie organique, au rythme des gouttes d’eau tombant dans les verres d’éthanol.


L’art et la matière

transmediale. [en] Un festival berlinois sans majuscule mais pas sans superbe. Chaque année, pendant une petite semaine, la capitale allemande et sa Maison de la Culture deviennent le lieu privilégié des arts et des cultures digitales. Créé en 1988 comme une sorte de Salon des Refusés de Berlinale [de, en] – un festival local de cinéma – transmediale s’est imposé depuis comme un lieu alternatif où l’on peut voir ce qui n’a pas toujours sa place ailleurs.

Avec pour thème « Response : Ability », l’édition 2011 réunissait des artistes et des collectifs se demandant comment la technologie et les valeurs qu’elle véhicule affectent voire modifient nos corps physiques et sociaux.

L’espace d’une semaine, le digital et l’organique s’articulent autour de cellules de réflexion et d’installations à partir d’ADN ou de processus chimique, à l’instar de « Intelligent Bacteria – Saccharomyces cerevisiae », une œuvre du collectif indonésien House of Natural Fiber (HONF) [en] qui exposent des jus de fruit en pleine fermentation. Désignés vainqueurs du prix prestigieux décerné par le festival, les organisateurs ont avant tout récompensé leur action dans l’archipel. En valorisant les pratiques « Do It Yourself » et utilisant les technologies open source, HONF tente de répondre à une contradiction culturelle par… la culture et l’emploi de levures.

Par le biais d’expositions et d’ateliers, ce collectif donne à la population les connaissances et les pratiques adéquates pour réaliser le processus de fermentation alcoolique dans les meilleures conditions. Parfois activité hors-la-loi, souvent alternative économique, et toujours nécessité sanitaire, produire et boire du bon vin est aujourd’hui en Indonésie un enjeu et un défi pour la société.

Boire : la roulette indonésienne

The House Of Natural Fiber est une plateforme née de la collaboration d’artistes « new media » et de scientifiques indonésiens spécialisés en microbiologie et en biotechnologie. Créée en 1999 à Yogyakarta – ville universitaire, centre de la culture javanaise et de la pensée musulmane – comme un laboratoire rempli de pipettes, d’idées et de bonnes volontés, HONF se donne pour objectif de mettre au quotidien la technologie au service de la société.

« Pour le projet Intelligent Bacteria, nous avons décidé d’utiliser l’art comme moyen de médiation et de médiatisation. Nous avons d’abord réalisé une exposition itinérante en Indonésie afin de rendre un peu plus attractif notre projet auprès des locaux que nous voulons sensibiliser et éduquer… Être présent à transmediale est aussi une manière de faire connaître la situation indonésienne à l’international », explique Irfan D. Prijambada, président du Laboratoire d’agriculture microbiologique à l’université Gadjah Mada de Yogyakarta, membre du collectif The House of Natural Fiber.

Avec ses grandes bonbonnes dans lesquelles fermentent des jus de fruit, l’installation acoustique, « Intelligent Bacteria – Saccharomyces cerevisiae » semble n’être qu’un prétexte, une opportunité de figer dans le temps et dans l’espace un projet dont les dimensions dépassent largement celle de la galerie qui la contienne.

C’est à la lecture du cartel que l’ampleur du projet se révèle : par le biais de cette installation les membres de HONF ambitionnent d’attirer l’attention sur un problème qui affecte mortellement la société indonésienne. En consommant sans le savoir de l’alcool frelaté, nombre de leurs concitoyens trouvent – bêtement selon leurs termes – la mort en lieu et place de l’ivresse.

Aujourd’hui, plusieurs raisons poussent les Indonésiens à se procurer des breuvages alcoolisés sur le marché noir et à risquer leur vie ou leur vision. Car toutes les bouteilles ne sont pas bonnes à boire ! Certaines d’entre elles contiennent du méthanol. Cette substance hautement toxique qui n’est pas  décelable au goût ou à l’odeur affecte le système nerveux central de ceux qui en ingèrent, entraînant la cécité voire la mort dans les pires cas. Or, sans une spectrométrie, il n’est pas possible de savoir si les boissons sont contaminées.

L’alcool : une contradiction culturelle

Bien que le pays soit fort d’une longue et riche tradition de fermentation alcoolique, la consommation d’alcool est devenue, au fil du temps, une véritable contradiction culturelle.

L’Indonésie compte environ 238 millions d’habitants et plus de 80 % d’entre eux sont de confession musulmane. Le pourcentage place ce pays laïc en tête sur la liste des pays à majorité musulmane pour le nombre d’habitants. Pourtant, les réglementations d’influence religieuse rendent de plus en plus difficile la consommation et la production de breuvages alcoolisés dans certaines parties du pays.

Bien que les partis religieux aient tenté, sans y parvenir, de faire voter une constitution islamique – qui aurait abouti à l’interdiction de la consommation d’alcool à l’échelle nationale en 1999 – les réglementations divergent dans l’archipel. En fonction de l’endroit où l’on se trouve, la consommation d’alcool peut-être tout à fait tolérée, soumise à conditions (boire chez soi par exemple) ou strictement interdite.

Après la chute de Soeharto en 1998, les structures politiques et gouvernementales ont été largement réformées et le pouvoir décentralisé au profit des régences – villes et régions. Libres d’établir leurs propres règlementations, nombre d’entre elles ont voté des perda, des règlements locaux inspirés de la charia. Ainsi, des villes à forte tradition islamique comme Gresik (Java), Tangerang (Ouest Jakarta) ou Bulukunba (Sulawesi du Sud) et les provinces de Kalmento (Borneo) et d’Aceh (Nord Sumatra) ont promulgué entre 2000 et 2005 des perda interdisant totalement la consommation et la distribution d’alcool sur leur territoire.

Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire ces lois d’inspiration islamiques ne sont pas uniquement le fait de dirigeants islamistes, comme nous l’apprend Andrée Feillard, chargée de recherche au CNRS spécialiste de l’Indonésie et de l’islam traditionaliste en Asie. Il arrive que certains politiciens laïcs, en quête de voix pour de  prochaines élections, n’hésitent pas à les soumettre au vote d’une population souhaitant plus de morale publique dans un pays vicié par la corruption.

La bouteille, un produit de luxe

Si la spécialiste française et le professeur indonésien s’accordent à dénoncer un durcissement des lois islamiques depuis une dizaine d’années, contraintes législatives et tabous religieux ne sont pas les seules causes poussant la population à se fournir en alcool sur un marché noir comme la mort.

« À Yogyarkarta, temoigne Irfan D. Prijambada, la consommation d’alcool dans un lieu public est passible de prison mais nous ne risquons rien si nous buvons à la maison. Ici, l’alcool est soumis à de lourdes taxes. Peu d’Indonésiens peuvent se permettre d’acheter des bouteilles à prix d’or dans les magasins et se tournent vers le marché noir. Le problème tient au fait que les producteurs amateurs ne maîtrisent pas les processus de fermentation alcoolique et ne respectent pas les conditions d’hygiène nécessaires pour faire du vin propre à la consommation. Suite à une contamination bactériologique, certaines de leurs cuvées contiennent du méthanol.»

En imposant de lourdes taxations sur l’importation et la distribution des boissons alcoolisées le gouvernement indonésien fait bondir le prix des bouteilles ; et il n’est pas rare, quand le bar est vide ou quand le portefeuille est trop léger, de voir les touristes descendre dans la rue se procurer de l’alcool local.

Jusqu’au début 2010 les boissons labellisées étaient soumises à la taxe sur les produits de luxes, infligeant aux prix une hausse de 40 à 75 %. Cette taxation a été levée, il a un maintenant un an, par la régulation du 17 mars 2010 [pdf, en] énoncée par le PMK, le ministère des Finances indonésien. Pourtant au lieu de diminuer significativement le prix des bouteilles, cette régulation le fait croître dramatiquement : en supprimant la taxe sur les produits de luxe, elle augmente le droit d’accise en fonction du degré d’éthanol qu’elles contiennent. Un droit d’accise est une taxe perçue sur la consommation d’un certain produit dans un territoire donné. En majorant ce droit sur les boissons alcoolisées, le gouvernement a marqué sa volonté de décourager les Indonésiens à consommer : dès le mois d’avril, les prix en boutique avait augmenté de 100 à 300 %.

Depuis qu’elle n’est plus considérée comme telle, la bouteille est vraiment devenue un produit de luxe. À titre d’exemple, le prix d’une bouteille de vin rouge de marque Orang Tua est passé de 15.000 à 45.000 roupies indonésiennes suite à la régulation soit environ de 1,25 à 3,75 euros. Dans un pays ou de nombreux ménages sont proches ou en-dessous du seuil de pauvreté national – approximativement 1,10 euros par jour – la mesure remplie partiellement sa fonction. Elle dissuade tout à fait la population d’acheter en magasin mais pas vraiment de lever le coude.

Ipung Nimpuno, porte-parole de l’Association des brasseurs indonésiens, le GIMMI, avait tiré le signal d’alerte en affirmant que cette régulation allait « encore accroître le marché noir » qui représentait déjà selon lui 80% de l’alcool consommé dans le pays. Les chiffres semblent malheureusement abonder dans son sens. Paradoxalement, en voulant réduire la consommation d’alcool avec des mesures fortes, le gouvernement semble avoir contribué à l’augmentation du nombre de décès liés à sa consommation.

Éthanol vs Méthanol

Il semble qu’il y a toujours eu des décès liés à la consommation d’alcool frelaté en Indonésie. Andrée Feillard se souvient de quelques cas quand elle travaillait comme journaliste à l’AFP à Jakarta dans les années 80. Mais leur nombre n’a jamais été aussi élevé qu’à l’heure actuelle. Pour les membres de HONF la corrélation est évidente : cette augmentation macabre est directement liée à celle du droit d’accise.

Ainsi, 120 Indonésiens et 3 techniciens russes auraient trouvé la mort en 2010 suite à un empoisonnement au méthanol selon les chiffres avancés par DetikFinance, un journal d’économie indonésien. Des chiffres que l’on pourrait sans trop se méprendre revoir à la hausse pour avoir une idée plus juste du nombre de victimes. Et ce pour deux raisons : d’abord cette cause de décès ne peut être confirmée que par une autopsie, ensuite il faudrait comptabiliser tous ceux qui ont perdu la vue ; pour ces derniers, Irfan D. Prijambada suggère de multiplier par deux la première approximation obtenue.

C’est donc avec des levures et non pas des bactéries que HONF tente de faire changer les choses et peut-être même d’apporter une solution à ce problème. « Nous avons employé le mot bactérie car les Indonésiens l’utilisent comme terme générique pour désigner l’ensemble des micro-organismes. Mais les saccharomyces cerevisiae sont bel et bien des levures et non pas des bactéries. Nous voulons apprendre à la population que faire du vin n’est pas une choses facile et qu’il est fondamental de respecter scrupuleusement une équation pourtant assez simple : eau minérale bouillie + fruits + sucre + levures + hygiène = vin propre à la consommation. »

Cliquer ici pour voir la vidéo.


L’empoissonnement bactériologique résulte de mauvaises conditions d’hygiène. Les levures ont besoin d’un environnement salubre pour faire leur besogne – transformer le sucre contenu dans le jus des fruits en éthanol et en dioxyde de carbone – et rester majoritaires dans la faune microbiologique.

Sylvie Dequin, directrice de recherche à l’Institut National de Recherche en Agronomie et spécialiste de la physiologie intégrative des levures ne cache pas sa surprise : « Je n’ai jamais entendu parler de ce genre de contamination bactériologique sous nos latitudes. Les bactéries incriminées telles que les salmonelles ou les staphylocoques sont celles que l’on trouve généralement dans les fosses septiques et les eaux usées. Elles se développent dans des environnements privés d’air – la fermentation est un processus s’opérant en anaérobie – et produisent du méthanol. »

Just Do It Yourself

Avec ce projet, les membres de HONF ne souhaitent pas uniquement éviter la mort d’une partie de leurs concitoyens. Ils sont aussi désireux d’améliorer les conditions de vie de toute la population. Via l’élevage des levures et la fabrication de vin, ils souhaitent contribuer à renforcer l’autonomie alimentaire des habitants en leur montrant qu’ils peuvent pourvoir à leur besoin à partir de ce que la nature met à leur disposition.

Les Indonésiens boudent ainsi le raisin, préférant piocher parmi le large spectre de fruits tropicaux (ananas, mangue, salak, guanábana, etc.) pour faire leur vin. Ils réalisent par la même occasion de sacrées économies : grâce à eux produire 5 litres de vin ne coûte que 15.000 roupies indonésiennes, soit l’ancien prix d’une bouteille de vin rouge Orang Tua de 75 centilitres.

Apprentissage de technologies abordables, lutte contre la paupérisation, capacitation des individus : HONF essaie de mettre en place un système alternatif pour pallier les difficultés de la population tout en essayant d’inclure les gouvernements dans leur démarche, les obligeant bon gré mal gré à regarder en face ce qu’ils essaient d’ignorer.

« Nous avons proposé aux régions de nous aider. Même si les régions à majorité chrétienne et bouddhiste sont évidemment plus promptes à accepter le programme, certaines régions musulmanes sont prêtes à nous suivre à certaines conditions –  que le vin soit produit pour l’industrie et non pas pour être consommé par la population locale ou qu’on leur enseigne comment faire du vinaigre plutôt que du vin – d’autres encore nous envoient tout simplement balader », conclut Irfan D. Prijambada.

Grâce à de toutes petites levures, une poignée de scientifiques et d’artistes tendent à modifier la société dans laquelle ils évoluent en donnant les moyens à ceux qui n’en ont pas vraiment de se débrouiller par eux-mêmes.

Avec Intelligent Bacteria ils espèrent que tous – les gouvernants et les quidams mais aussi la communauté internationale – comprendront l’ampleur et l’importance vitale de leur cause. Et si ce n’est pas le cas, on dirait bien qu’ils espèrent amener les Indonésiens réceptifs par des chemins de traverse suffisamment loin d’un système qui les met en difficulté pour qu’ils puissent le regarder, sans heurts, s’effondrer lentement mais sûrement sous le poids de ses propres contradictions.

Illustrations AttributionNoncommercialNo Derivative Works Anne Helmond

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Mark Suppes, l’homme qui fusionne des atomes dans son garage

La prochaine révolution ? Faites-la vous même !

Image de une Marion Boucharlat. Téléchargez-là :)

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Top 48 des vieilles pubs nauséabondes qui feraient scandale aujourd’hui http://owni.fr/2010/11/06/top-48-des-vieilles-pubs-nauseabondes-qui-feraient-scandale-aujourd%e2%80%99hui/ http://owni.fr/2010/11/06/top-48-des-vieilles-pubs-nauseabondes-qui-feraient-scandale-aujourd%e2%80%99hui/#comments Sat, 06 Nov 2010 13:21:29 +0000 Kelolo (Topito) http://owni.fr/?p=34257 Y’aura-t-il encore des nostalgiques et des défenseurs du « c’était mieux avant » après la vision de ces publicités vintage ? Un top qui tranche avec l’univers classieux des Mad Men… mais pas si éloigné de notre époque.

SEXISME

TABAC

ALCOOL

RACISME

BÉBÉS/ENFANTS

AUTRES

Billet initialement publié sur Topito

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[ITW] Alfred Hilsberg : le papy grincheux de la musique allemande http://owni.fr/2010/10/07/itw-alfred-hilsberg-le-papy-grincheux-de-la-musique-allemande/ http://owni.fr/2010/10/07/itw-alfred-hilsberg-le-papy-grincheux-de-la-musique-allemande/#comments Thu, 07 Oct 2010 15:11:12 +0000 Andreas Richter http://owni.fr/?p=26913

Chez OWNImusic on aime bien les gens qui sortent du cadre, ça tombe bien, chez Vice aussi. On ne pouvait donc pas laisser passer l’occasion d’une collaboration : l’interview d’Alfred Hilsberg réalisée par Andreas Richter. Véritable figure de la musique allemande, il n’hésite pas à se dévoiler comme peu le font, tout en dressant un portrait passionnant de l’industrie de la musique.

L’industrie de la musique en Allemagne, comme dans beaucoup d’autres pays, souffre d’une histoire un peu instable. Alfred Hilsberg est parvenu à s’en sortir et est devenu l’un des rares piliers d’une industrie qui expulse les gens sans appel dès lors qu’ils deviennent grisonnants ou que des boutons horribles se parsèment sur leurs mains. En 1979, il a lancé ZickZack, un label qui offrait une plateforme pour les scènes punk, avant-garde et postpunk à Düsseldorf, Berlin et Hambourg, en réponse à l’hystérie punk anglaise. Lors des premières années, Hilsberg a sorti un disque pour chaque artiste tourmenté qui mettait le pied dans son studio (des groupes du style Abwärts, Palais Schaumburg, Die Tödliche Doris, Einstürzenden Neubauten et Freiwillige Selbstkontrolle, pour ne citer qu’eux). Il a aussi créé le terme « German New Wave » et s’est retrouvé au bout d’un moment dans une impasse financière quand tous ces gens se sont mis à faire de la merde.

Criblé de dettes, il n’avait pas un rythme de vie particulièrement sain mais est quand même parvenu à sortir des CDs. En fait, il est même allé jusqu’à fonder un autre label, What’s So Funny About, et a pris des petits groupes méconnus sous son aile comme Blumfeld dans les années 1990. Pour certains, c’est un vieux grand-père grincheux endetté jusqu’à la moelle, la relique d’une longue ère révolue. Même s’il y a un peu de vérité dans tout ça, Hilsberg et son travail actuel contribuent à faire de la musique un atout culturel. Il sort toujours des disques, et entend bien persévérer dans cette voie.

Blumfeld

Vice : On n’a pas beaucoup entendu parler de vous cette année. Comment ça se fait ?

Alfred Hilsberg : J’ai traversé une crise d’identité, comme beaucoup de gens en Allemagne. Pour moi bien sûr, c’était la conséquence de la dématérialisation du disque. Là j’ai commencé à me demander « Mais qu’est-ce qu’il se passe, là ? »

Combien de fois vous êtes-vous posé cette question ?

Tous les jours [rires]. Enfin, presque tous les jours depuis 1982. Pendant ces premières années suivant la création du label, ce n’était pas trop le moment de se poser des questions existentielles. Mais l’effondrement de la German New Wave – GNW – a été une sorte de déclic : nous n’étions pas aussi indépendants que ce que nous pensions. Bien entendu, on contrôlait toutes les sorties, mais on a fini par réaliser que nous faisions toujours partie de l’industrie musicale.

Parce que vous vous voyiez comment, avant ?

On voulait œuvrer indépendamment des structures existantes dans l’industrie musicale et ses machines marketing. On voulait que ce soit un phénomène culturel, pas un phénomène marketing. Le problème c’est qu’on n’a pas réussi à tout gérer et ça s’est transformé en une sorte de phénomène de mode. En ce qui concerne la GNW, les majors ont mis la main dessus et le marché s’est retrouvé envahi par pas mal de trucs sans intérêt, et qui ont attiré l’attention des médias. Les gens n’achetaient plus rien d’innovant ou difficile d’accès. En fait, ils n’achetaient plus rien. Il y a eu une grande période de vide à partir de 1983, jusqu’à 1985 voire, 1986.

Ça veut dire que l’engagement des premiers clients des années ZickZack s’était aussi arrêté.

Oui. Il y a peu de gens qui sont restés fidèles. Il y avait les gens qui ne se contentaient pas d’acheter, d’en parler et de nous respecter juste parce que c’était « in » de le faire, mais parce qu’ils voyaient ça comme une culture qu’ils ont réellement adoptée. Pour les autres, c’était juste une tendance qu’il fallait connaître pour pouvoir frimer devant n’importe qui.

À quel moment s’est achevé ce passage à vide ?

Cette crise identitaire s’est résolue toute seule parce qu’il y a eu quelques succès commerciaux signés sur le label What’s so Funny About, comme Gun Club, Henry Rollins et Nikki Sudden. À la fin des années 1980, l’atmosphère était redevenue généralement plus positive. C’était au moment de la pseudo-réunification. De nouvelles formes d’expression presque excessives sont arrivées à Hambourg et ont ramené des gens complètement différents comme ceux de la « Hamburg school ». Ce terme avait été inventé par des journalistes. C’est passé d’un label à un terme marketing. Néanmoins, ce terme n’a jamais été utilisé puisque cette école n’a jamais existé.

Est-ce que le désastre de la GNW a déteint sur votre stratégie commerciale ?

Et bien grâce aux succès que j’ai mentionnés juste avant, j’ai laissé les grandes structures de l’industrie musicale me prendre en otage. Ça a commencé dans les années 1980 quand le style de marketing a changé. J’agissais comme l’aurait fait une major, simplement sur une plus petite échelle. J’ai dû me réduire à apprendre toutes leurs stratégies même si j’en avais pas envie. Avec du recul, j’ai pu constater qu’aucune de ces stratégies ne m’a servi à vendre plus de disques.

Avant, les fans nous arrachaient littéralement les CDs des mains, et c’était sans stratégie marketing. Les journalistes nous couraient après, pas le contraire. Il y avait une queue interminable et ils demandaient des démos, mais on leur disait non. On leur disait « Il faut payer ». Et ils le faisaient, heureusement. On devait faire nos calculs et apprendre comment une entreprise fonctionnait. Je ne sais comment, mais je me suis retrouvé à devoir 25 000 Deutschmarks d’impôts. C’était dû aux sommes pyramidales qu’on gagnait, mais bien sûr on ne réglait pas les impôts.

Par naïveté ou par pure volonté ?

Par naïveté. De toute évidence, je ne faisais pas la comptabilité. Je ne savais même pas en quoi ça consistait [rires]. J’avais une énorme boîte remplie de reçus, puis le percepteur est venu et m’a fait « Ça ne va pas ». Je m’en suis sorti avec 25 000 marks à payer.

Henry Rollins

Est-ce la dette qui vous incombe toujours aujourd’hui ?

Non, là c’est de l’argent que je dois aux banques. Je suis allé dans la plus grande banque Sparkasse à Hambourg, j’ai filé directement au département des prêts, et je leur ai demandé si je pouvais avoir un prêt de 50 000 marks. J’avais juste besoin d’argent pour démarrer une nouvelle vie. Je leur ai dit que je savais comment relancer le label et que c’était eux qui pouvaient m’offrir l’argent nécessaire. Le lendemain, l’argent était sur mon compte mais je n’ai jamais réussi à tout leur rembourser, et je me traîne encore cette dette aujourd’hui. Mais ça ne m’embête plus.

Ça ne vous dérange pas d’être endetté ?

Ce n’est pas réel pour moi. C’est juste un phénomène virtuel. Ce serait beaucoup plus difficile si je devais concrètement rembourser 500 euros par mois. Là, je serais embêté. Mais ça ne marche pas comme ça.

Quels aspects de la fainéantise dont fait preuve l’industrie musicale vous énervent ?

En gros, que ses acteurs principaux se contentent des mêmes structures. Ils sont juste incapables de se reformer. Ils n’ont pas remarqué qu’ils sont superflus. Prenez Universal, la plus grande major de l’industrie du disque, qui marche de la même façon depuis toujours : balancez trente trucs sur le marché, et l’un d’eux finira bien par marcher. Cette technique les fait marcher depuis des décennies. Ils sortent un truc pour pas cher en voyant ce que ça donne sur Internet. Motor fonctionne sur le même principe. Tim Renner sort des trucs, mais pas directement sur CD. S’il n’est pas convaincu que ça marchera, il va voir ce que ça donne digitalement. Il s’y prend de façon à mener les méthodes de l’industrie musicale à l’extrême. Quand il fait quelque chose, il veut avoir tous les droits. Pas juste les droits d’exploitation et de publication. Il veut les droits commerciaux, les droits de management, les droits de publication, les droits digitaux, en clair toutes les parts du business. Un futur où les labels demanderont aux artistes d’amener leurs sponsors et de signer leur contrat avec eux est possible.

Est-ce qu’un label indépendant peut toujours marcher à cette échelle ?

De ce que j’en sais, Renner est devenu le favori de cette scène grâce à ses méthodes. Ça n’a pas vraiment de rapport avec notre idée de la culture indépendante. À cause de ces changements de structures, on peut avoir l’impression qu’il faut vraiment faire la compétition avec les artistes autour de nous pour faire du profit et survivre dans le marché aujourd’hui. De nombreux artistes s’y mettent parce qu’ils n’ont pas trouvé d’autre manière de sortir leur album.

Les moyens de communication de l’industrie musicale ont subi un changement radical ces dernières années. Comment est-ce que vous gérez tout ça ?

En prenant en compte l’apparition du digital depuis 2000, on s’est régulièrement demandé s’il y avait toujours un intérêt pour nous de travailler en tant que label de disques. Le téléchargement ne me dérange pas, c’est la perte de conscience sur la valeur de la musique qui me pose problème.

C’est impressionnant de voir que même dans un environnement comme ZickZack, on constate une perte de conscience de la vraie valeur de la musique.

C’est triste, mais c’est entièrement vrai. Bien entendu, il y a toujours beaucoup de gens, surtout des adultes, qui s’informent par le biais de revues culturelles, qui continuent à acheter des CD ou à télécharger de la musique légalement. Mais la génération suivante est sans pitié et ne semble pas voir la musique comme un atout culturel mais comme une chose acquise qu’on peut trouver à chaque coin de rue.

Est-il trop tard pour apprendre à cette génération à respecter la musique ?

Je ne sais pas ce qu’il leur faudrait pour changer d’attitude. Théoriquement parlant, on aurait besoin de quelque chose comme une grève de la musique. Il nous faudrait un mouvement entier de musiciens, qui s’organiserait entre eux ou se syndiqueraient pour annoncer qu’ils ne veulent plus faire de musique jusqu’à ce que les gens arrêtent de télécharger. Mais comment est-ce que ça pourrait marcher ? C’est impossible. Personnellement, je ne pars pas non plus à la poursuite de la Fata Morgana de l’Internet. Notre base reste les albums matériels. Je pense qu’internet a beaucoup contribué à la dévaluation de la musique. Ce n’est plus vu comme le produit d’une société qui coûte de l’argent et a besoin d’argent en retour. Les gens achètent des t-shirts et toutes les vieilles merdes qu’ils peuvent obtenir lors d’un concert. Sans mentionner le fait qu’ils sont contents de payer leur place de concert une fortune.

C’est le point de vue d’une personne qui possède un label. Mais du point de vue d’un client, est-ce qu’il croit soutenir l’artiste ?

En ce qui concerne les places de concerts en club, ce genre de comportement m’est tout à fait acceptable. Mais beaucoup de gens se font de l’argent avec les gros concerts et festivals, et c’est pareil pour tous les goodies de merde.

Mais le client ne s’en rend pas compte.

Le client ne s’en rend pas compte, c’est vrai. On peut émettre l’hypothèse qu’ils pensent qu’en achetant un maillot avec le nom de Ballack dessus, la majorité de leur argent ira à Ballack. Ils n’ont pas conscience que c’est la Fédération allemande de football qui remplira ses caisses. Ils ne savent pas, c’est tout. 1,2 million de t-shirts ont été vendus pendant la coupe du monde, et chacun coûtait en moyenne 59 euros. C’est fou.

Katze

On entend souvent dire qu’il y a eu une démocratisation de ressources liée à la numérisation. Diriez-vous qu’il y a plus de choses sans intérêt qu’avant à cause d’internet, ou que c’est juste devenu plus visible ?

Je pense réellement qu’il y a plus de choses sans intérêt à cause de la numérisation. Simplement parce que n’importe qui peut y avoir accès, parce que quelqu’un de n’importe quel niveau peut produire de la musique et que ces niveaux ne sont pas intéressants. Je pense que c’est juste une pseudo-démocratie, parce que même maintenant, seules certaines personnes peuvent réellement s’affirmer – ceux qui ont de l’argent, par exemple. Cette histoire des Artic Monkeys était montée de toutes pièces. Sans argent, ils n’auraient jamais pu percer.
Vous refusez de croire que la qualité puisse prévaloir ?

Bien sûr, il existe toujours un cas particulier où la qualité prévaut sur le reste. Il est aussi possible que ça marche grâce à un stratagème rondement mené sur internet. Il y a plein de gens qui continuent d’essayer. Sur internet, j’ai entendu autant de bonnes choses que lorsque j’écoutais des démos. Et ça ne représente pas grand-chose.

Travailler dans la musique en tant qu’artiste ou manager de label, c’est un peu se battre pour survivre. Combien de temps tiendrez-vous ?

Il est clair que ça laisse des marques. Vous pouvez mesurer les conséquences rien qu’en me regardant. Prenez des photos de moi il y a 25 ans et vous verrez qu’il y a eu un changement énorme. Ce n’est pas juste à cause des drogues, mais aussi à cause de cette lutte quotidienne pour survivre. Certaines de mes connaissances dans le business veulent savoir comment on a réussi à rester en vie. C’est une grande surprise pour eux, que je continue à sortir des disques.

En parlant de drogues, c’est toujours un problème pour vous ?

Oui. Même si je suis surtout alcoolique. Je ne suis pas obligé de boire, mais j’aime ça. C’est comme ça depuis 67 ans. Ça a commencé avec le journalisme musical, en 1965. J’étais maître de conférences à l’école d’art d’Hambourg et j’ai eu un examen médical quand j’ai commencé. Ils ont vu que j’avais un problème de foie mais mon docteur m’a dit « Ce n’est pas grave, tes reins fonctionnent toujours ». Ça m’allait très bien comme ça. Je ne voulais pas faire de comparaison directe, mais vivre sans alcool équivaudrait à m’imaginer un monde sans musique. Et je ne peux pas le faire.

Comment allez-vous aujourd’hui ?

Récemment, je suis allée voir un docteur pour une pléthore de raisons diverses. J’ai perdu l’ouïe à cause du stress et j’ai dû prendre des médicaments un peu violents, comme de la cortisone. Je ne pensais pas que ça me ferait un effet pareil. À ce propos, mon docteur m’a dit qu’il faudrait que je traite ma consommation d’alcool autrement. Peut-être que je devrais me contenter de vin. [Rires]

Qu’est-ce que vous buvez, du coup ?

Exclusivement de la vodka. Je suis bourré après un verre de bière ou de vin, je ne supporte pas.

N’importe quel docteur vous dirait probablement d’éviter tout stress.

Je sais, il m’a déjà dit la même chose. Il voulait savoir si je pouvais faire autre chose que m’enfiler des comprimés. Je lui ai dit que j’essaierais de téléphoner moins et de réduire mon nombre de rendez-vous, ce à quoi il a rétorqué « Si vous n’arrêtez pas de vous imposer ce stress, je serais contraint de vous mettre à l’hôpital pour votre propre sécurité ».

Pensez-vous être la propre cause de votre santé, et que vous ne prenez pas assez de temps pour vous ?

Je m’occupe de moi d’une façon complètement stupide. Il faut vraiment que j’y remédie. J’aimerais avoir quelqu’un pour m’assister un peu pendant la journée, mais ça ne suffirait pas. Il me faudrait au moins deux personnes pour que je puisse avoir du temps pour moi, mais ce n’est pas financièrement envisageable pour l’instant.

Pourquoi la musique allemande peine-t-elle autant à marcher à l’étranger ?

C’est un problème complexe. La musique la plus intéressante se fait toujours dans les pays anglo-américains – musicalement parlant en tout cas. Les paroles, c’est un autre problème. Ici en Allemagne, les gens ne prêtent pas beaucoup d’attention aux paroles. Le Krautrock et Kraftwerk sont les seules exceptions à la règle. Il y a beaucoup de pays, en particulier les États-Unis et le Japon où les gens veulent écouter une musique juste parce qu’elle vient d’ailleurs. Einstürzende Neubauten, Palais Schaumburg et Blumfeld n’étaient pas juste musicalement intéressants, c’était une attitude à part entière. Ces groupes avaient quelque chose d’original, ils étaient vus comme étant authentiques. Et c’est nécessaire, si tu désires que ta musique soit écoutée en dehors de l’Allemagne.

Ce qui est difficile, bien sûr, c’est quand des groupes allemands copient les Américains ou les Anglais.

Complètement. Encore plus quand on constate qu’il est très difficile de positionner la musique allemande internationalement. Beaucoup de nos connexions internationales se sont arrêtées avec la fin de Blumfeld. Non pas que ce soit la faute de Blumfeld. C’est aux nouvelles technologies et à la crise de l’industrie musicale que l’on doit dire merci.

Y a-t-il eu des moments dans votre vie où vous pensiez en avoir assez de la musique ?

En effet, il y en a eu. Mais surtout en 1982-1983, quand la GNW s’est effondrée et qu’elle a failli nous entraîner dans sa chute. C’était trop pour moi, et j’ai eu envie d’arrêter. Je n’avais pas le courage de continuer. C’est là que j’ai commencé à écrire pour Sounds Magazine. Je passais mes journées à écouter de la musique et à en parler. Si vous écoutez une trentaine de nouvelles choses en une journée, vous commencez à vous dire que vous ne voulez plus rien écouter. Au milieu des années 1980, j’ai recommencé, mais de manière très sélective. En fait, pendant environ dix ans, j’ai arrêté de suivre, de remarquer et de critiquer toutes les tendances émergentes. Chaque personne a son point de non-retour, et je me fiche des discussions superficielles sur les groupes cools désormais.

Jen Friebe

Vous aviez un plan B ?

Non. C’est ma faute, j’aurais dû en prévoir un. Mais je n’ai jamais vraiment réfléchi à ma propre existence. Je ne me suis jamais assez protégé.

Vous n’aimez pas être vu comme le patron du punk, je me trompe ?

Le punk m’a toujours semblé stupide et limité – musicalement, et en terme de style. Je n’ai pas envie d’être apparenté au punk. On va prendre pour exemple Abwärts que j’avais signé, c’était un peu une relation de type « je t’aime, moi non plus ». Je les ai réécoutés récemment à la radio. Le groupe m’a dit que je ne les avais jamais appréciés, et je leur ai répondu « Oui, c’est vrai. » Ils m’ont fait « Mais ça ne t’a pas empêché de prendre notre argent », et j’ai répliqué « Bien entendu ! ».

Malgré toutes nos différences, on en a fait beaucoup pour Abwärts et ils ont fait beaucoup pour nous, en terme d’organisation. Ils ont distribué leurs propres démos et leurs propres disques parce qu’ils voulaient en avoir le contrôle. Ils ont aussi gagné plus d’argent que les autres groupes, précisément parce qu’ils étaient très impliqués.

Ils ont agi selon votre idée de ce que devraient être les artistes.

L’artiste idéal n’existe pas. Le mieux que l’on puisse faire, c’est s’impliquer avec une grande variété de personnes différentes. Je pense qu’un artiste devrait vivre selon ses propres principes. Il devrait être capable de tout contrôler. Il devrait pouvoir être lucide et se promouvoir lui-même. Il devrait être là lorsque son site est créé, il devrait connaître les droits d’un artiste et tout ce qui est relatif au copyright, et savoir quels sont ses droits de performance, aussi. Il devrait mesurer la portée que peut avoir la pochette d’un disque – ce n’est pas juste une jolie photo, ça crée aussi une image. Beaucoup d’artistes me diront que savoir toutes ces choses, c’est du matraquage, mais ce sont des points essentiels. Dans certains cas, ça m’a mené à me lasser d’un groupe ou d’un artiste avant que je réalise que le musicien n’était même pas sérieux. Pour eux, c’est juste un moyen plutôt sympa de s’occuper pendant leur temps libre, lorsqu’ils n’étudiaient pas.

Y a-t-il un artiste en Allemagne que vous aimeriez signer sur votre label ?

C’est une question délicate. Je suis dégoûté que les Panik ne soient pas sur mon label. Je n’ai même pas pu décider, d’un coup il y a eu un flot de personnes qui m’ont dit que je ne pouvais pas les signer. Ce sont de vieilles embrouilles berlinoises, une expérience que j’aurais aimé éviter. Mais il n’empêche que j’adore le groupe !

Vous êtes-vous déjà dit que vous pourriez gagner beaucoup d’argent grâce à la musique ?

Non, jamais. Certains l’ont pensé, mais ça n’a jamais été mon genre. J’ai juste fait ce que je voulais faire, ou à peu près.

Avez-vous déjà regretté une décision ?

J’aurais peut-être dû être un promoteur de concerts ou un organisateur, pas un manager de label. J’en avais l’opportunité. Une agence anglaise de concerts m’a demandé si je voulais être leur représentant allemand parce qu’ils me voyaient bien dans ce rôle. J’avais fait tous les grands concerts en Allemagne de 1980 à 1982, tout, de The Cure jusqu’aux Dexy’s Midnight Runners. J’avais l’occasion de lancer une agence de touring prospère. Ça a été une erreur de ne pas le faire, mais je ne la regrette pas.

Ça fait trente ans que vous faites votre métier. Qu’est-ce qu’il va se passer pour vous après ?

Malgré toutes ces discussions sur les crises, que j’apprécie, il y a toujours quelque chose de bien à venir. Bien sûr, beaucoup de ces choses bien sont à Berlin maintenant, mais c’est le plaisir de la capitale qui fait ça. Les deux prochaines sorties ZickZack sont des artistes berlinois, avec qui je travaille depuis un moment. Katze sort son deuxième album chez nous, et le quatrième album de Jens Friebe est prévu pour octobre. Je n’ai pas envie de tous les lister, mais 206 vont vraiment exploser l’année prochaine. Vous verrez, mon apogée sera pour la trente-et-unième année de ma carrière.

Article initialement publié sur Viceland.com

Crédits illustration : Franck Hohne ; Images Oliver Schultz-Berndt ; Kiron Guidi ; Mosesxan ; bloernstar

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