OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Leçon de rhétorique sur le partage http://owni.fr/2012/02/07/clouer-le-bec-a-un-lobbyiste-anti-partage/ http://owni.fr/2012/02/07/clouer-le-bec-a-un-lobbyiste-anti-partage/#comments Tue, 07 Feb 2012 15:55:08 +0000 Philippe Aigrain http://owni.fr/?p=97028

Nul n’est à l’abri en ces temps pré-électoraux. Vous risquez de rencontrer chez des amis un responsable de l’Association des producteurs cinématographiques, des lobbyistes de grandes sociétés des médias, leurs conjoints ou leurs amis, un ancien ministre de la culture ou des artistes et auteurs sincèrement convaincus que l’internet du partage est un repaire de brigands et celui des vendeurs de contenus une bénédiction pour la culture.

Or ces personnes s’emploient en ce moment à plein temps à avertir nos concitoyens, et parmi eux particulièrement un candidat à l’élection présidentielle, des immenses dangers que la mise en place de nouveaux financements associés à la reconnaissance du partage non-marchand entre individus des œuvres numériques feraient courir aux fleurons français de la culture.

Voici donc quelques éléments qui vous permettront de relancer la conversation tout en restant polis, bien sûr.

1. Tu comprendras Licence globale

Vous remarquerez tout d’abord que vos interlocuteurs s’en prennent à une créature baptisée licence globale. Petit cours de rattrapage pour les plus jeunes : la licence globale est une proposition élaborée en 2004 et 2005 qui fut assassinée à coups de pelle en 2006, avant que nul n’ait eu le temps de concevoir et encore moins d’expliquer comment elle fonctionnerait. Quelques défenseurs de la légalisation du partage continuèrent à employer le terme par la suite (Jacques Attali par exemple, ou Juan Branco dans le cas du cinéma, qui en précisèrent le contenu).

Pour l’essentiel, cependant, l’expression devint le moyen de désigner ce dont on ne parlerait pas dans les divers comités présidés par des représentants d’intérêts particuliers mis en place par la médiocratie sarkozienne. Aujourd’hui, deux grandes classes de propositions sont discutées au niveau international : la contribution créative, à laquelle j’ai consacré deux livres, et différentes formes de “licences pour le partage”, dont en France la proposition de Création, Public, Internet ou les documents élaborés par des groupes de travail au sein du PS et d’EELV. Demandez donc à votre interlocuteur pourquoi il ne fait pas référence à ces propositions, qui sont celles qui sont effectivement discutées.

2. Tu compareras au livre

Votre interlocuteur s’inquiétera de la légitimité de reconnaître un droit des individus à partager entre eux des œuvres numériques sans but de profit. Les droits d’auteurs sacrés autant que transférés pour le bien des auteurs aux éditeurs et sociétés de gestion n’interdisent-ils pas que l’on fasse quoi que ce soit d’une œuvre sans que cela ait été autorisé par l’auteur l’industrie ?

Ils pourront même mettre sous vos yeux des chiffres effroyables : à cause du terrible piratage, un pourcentage élevé des accès aux œuvres concerne un contenu qui n’a pas été acheté. Ne perdez pas de temps à leur rappeler qu’il en fut ainsi depuis que le mot culture existe, vous tomberiez dans une controverse historique qui plombe vraiment un dîner.

Mais tout de même il pourra être utile de signaler que la proportion des lectures de livres qui se font – tout à fait légalement – sur un livre non acheté par le lecteur doit être à peu près du même ordre. Il est vrai que le livre n’a pas été encore embastillé chez nous derrière des verrous numériques. Cela vous permettra de leur demander très poliment si vraiment cette perspective est souhaitable. Évitez d’employer des expressions comme droits fondamentaux, culture partagée, citoyens, éducation populaire, cela peut heurter.

3. Tu positiveras la souffrance de l’industrie

La conversation va alors entrer dans le vif du sujet, à savoir que la contribution créative licence globale, c’est pire qu’Attila, non seulement rien ne repousse sur son passage, mais ça défriche même autour. Les trous noirs, à côté, c’est de la gnognotte. Et on additionne les revenus de toutes les industries culturelles pour vous calculer qu’il faudrait payer des dizaines d’euros par mois et par foyer pour compenser ce qui va s’effondrer du fait de l’autorisation du partage non-marchand. Vous pourriez remarquez que vos interlocuteurs, dans de précédents dîners, n’arrêtaient pas de se plaindre de ce qu’ils étaient déjà dévalisés par le terrible piratage, comptant chacun des fichiers circulant sur le Net comme une vente perdue. Est-ce que cela ne relativise pas l’impact de la légalisation du partage, surtout quand on remarque que pour le cinéma, les années de développement du partage ont été celles d’une croissance continue de ses revenus, notamment pour les entrées en salle ?

Arrêtez tout de suite, c’est très impoli de mettre comme cela vos interlocuteurs en contradiction avec eux-mêmes. Et puis il y a la musique qui s’effondre, enfin, pas vraiment les concerts vont très bien, mais la musique enregistrée souffre, enfin elle va beaucoup mieux grâce à l’HADOPI.

Hadopi en sursis

Hadopi en sursis

À la faveur de l'affaire Megaupload, l'opposition entre droits d'auteur et Internet s'est installée au nombre des sujets de ...

Bon d’accord c’est juste celle que les majors vendent sur iTunes et promeuvent sur Deezer et Spotify qui va mieux, mais on ne peut pas tout avoir, lutter contre le partage et favoriser la diversité culturelle. Vous pourriez bien sûr mentionner toutes les études, y compris celle de l’HADOPI (cf. image ci-dessus), qui montrent que les partageurs achètent plus, mais cela se saurait tout de même si quelque chose qui contredit à ce point les dogmes de l’économisme était vrai.

Non, il faut vous en sortir autrement. Le mieux serait de proposer à vos interlocuteurs un pari pas du tout pascalien : on pourrait laisser aux auteurs et artistes ayants droit le soin de choisir entre deux dispositifs, l’un où ils auraient le bénéfice de la contribution créative telle que je l’ai décrite et l’autre où ils auraient le bénéfice d’une compensation des pertes qu’ils auraient subis du fait du partage. Ces pertes seront évaluées par une commission composée des auteurs des 20 études indépendantes qui ont conclu que ces pertes dues au partage sont au grand maximum de l’ordre 20% de la baisse des ventes observée depuis le sommet des ventes en France en 2002. On notera que la période 1999-2002 marque l’apogée du pair à pair musical (Napster/Kazaa).

4. Tu expliqueras la (nouvelle) chronologie des médias

A ce moment votre interlocuteur va sortir l’arme suprême, la chronologie des médias, qui, annoncera-t-il, s’effondrera si on légalise le partage non-marchand alors qu’elle a permis au cinéma français de subsister face au cinéma américain. Manque de pot, ce point n’a pas tout à fait échappé aux concepteurs des propositions de légalisation associée à de nouveaux financements. Ils ont donc encadré précisément ce qu’était le partage non-marchand entre individus et quand il devenait possible de le pratiquer. Le tout de façon à garantir que la chronologie des médias, loin d’être anéantie, soit renforcée par une simplification à laquelle les usagers adhéreront parce qu’ils auront acquis des droits. Expliquez le patiemment à vos interlocuteurs pour le cinéma, il y aura 4 étapes : la projection en salles, la diffusion numérique (VOD, p.ex.) qui ouvrira le droit au partage non-marchand, la diffusion sur les chaînes cryptées puis celle sur les chaînes en clair. Et oui, cela reste intéressant de programmer des films pour une télévision alors qu’ils ont déjà circulés dans le partage non-marchand, pour autant que la chaîne, elle, reste intéressée par le cinéma ce qui est de moins en moins le cas.

5. Tu détailleras le financement des œuvres

C’est le moment de remarquer que votre interlocuteur fait depuis le début comme si les financements de la contribution créative et autre licences pour le partage licence globale ne consistaient qu’en une rémunération des auteurs, alors qu’ils incluent un volet financement de la production de nouvelles œuvres. Demandez-lui par exemple pourquoi il n’a pas informé ses chers cinéastes (et les documentaristes et les producteurs de nouveaux formats vidéos) du milliard d’euros qu’il leur a déjà fait perdre pour de nouveaux projets en refusant obstinément de participer à la mise en place de ces dispositifs.

6. Tu auras battu ses arguments

Et puis, au dessert, vous pourrez enfin parler de l’essentiel, de la création qui se développe sur internet et autour, de la façon dont elle multiplie le nombre des créateurs à tous les niveaux d’engagement, de compétence et de talent. Et qui sait, vous pourrez peut-être tomber d’accord sur l’utilité du partage et des nouveaux modèles de financement dans ce cadre … au moins pour tous les médias dont votre interlocuteur ne s’occupe pas.


Initialement publié sur le blog de Philippe Aigrain, Comm-u/o-ns.

Le titre, les intertitres et les illustrations ont été ajoutés par la rédaction.


Capture d’écran, rapport de la Hadopi
Illustration par The Holy Box/Flickr (CC-bync

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YouTube : “la musique gratuite rapporte autant que la musique payante” http://owni.fr/2011/02/22/youtube-la-musique-gratuite-rapporte-autant-que-la-musique-payante/ http://owni.fr/2011/02/22/youtube-la-musique-gratuite-rapporte-autant-que-la-musique-payante/#comments Tue, 22 Feb 2011 14:04:21 +0000 Eliot Van Buskirk http://owni.fr/?p=30457 Eliot Van Buskirk écrit pour le site Evolver.fm et s’interroge sur les problématiques liées à l’évolution des business models de la musique.

Baby, de Justin Bieber, la vidéo la plus vue sur YouTube

Alors que les maisons de disques et les sites de musique en ligne se battent pour convaincre les fans de musique de continuer à payer la musique, YouTube, lui-même un acteur majeur du secteur de la musique enregistrée, affirme que la distribuer gratuitement est aussi rentable pour les ayant-droit que de la faire payer, le tout étant inextricablement lié aux services de musique en ligne freemium comme Spotify et le très attendu Google Music.

Dans un entretien accordé à Evolver.fm au début du mois, les dirigeants de YouTube confirment que le site peut rapporter aux labels autant que des services payants et mettent en avant l’augmentation oscillant entre 200 et 300% de recettes que le site a générées auprès des titulaires de droits d’auteur l’année passée. Ils incombent cette forte croissance à l’augmentation générale du trafic notamment sur les téléphones mobiles, à des formats de publicité optimisés et plus rentables, à l’intégration d’AdWords dans le contenu vidéo (à travers lequel les annonceurs proposent des publicités que l’internaute « choisit » de regarder), à une nouvelle génération de curateurs qui partagent les vidéos sur les blogs et les réseaux sociaux multipliant ainsi leur audience, à des équipes commerciales plus efficaces particulièrement au sein de Vevo (une joint-venture associant Google, les principales maisons de disques et Abu Dhabi) ainsi qu’au système d’identification de contenu de YouTube qui permet aux détenteurs de droits d’auteur de gagner de l’argent même dans le cas d’une utilisation frauduleuse de leurs chansons.

« Nos plus gros partenaires musicaux gagnent plusieurs millions de dollars par mois » confie Chris Maxcy, le directeur des partenariats liés aux contenus sur YouTube. « Ce qui est également très impressionnant, c’est le niveau de croissance. Les niveaux de monétisation ont été multipliés par 2 voire 3 et ce seulement sur l’année passée…Nos labels partenaires sont ravis et nous misons sur une poursuite de la tendance. J’espère que d’ici un an nous pourrons annoncer de nouveau une multiplication des recettes par 2 ou 3 ».

Selon YouTube, la musique gratuite est aussi rentable que la musique payante. Et cela pourrait inspirer Google…

« Nous ne sommes pas attachés à un unique modèle payant en soi » explique Phil Farhi, un chef de produit au sein de l’équipe responsable des solutions de monétisation pour YouTube chez Google. « Nous nous sommes jusque là beaucoup concentrés sur la publicité, mais si certains utilisateurs dépensent de l’argent pour du contenu, d’autres dépensent du temps et de l’attention. Nous nous sommes penchés sur cette seconde catégorie. Et nous voyons qu’en optimisant vraiment tout, nous pouvons rapporter aux labels autant que les autres. »

Certains ne considèrent pas la valeur de la musique gratuite car ils demeurent trop concentrés sur son prix.

« C’est un piège connu : les gens se concentrent uniquement sur le prix des services intégrant la publicité en opposition au prix des plateformes d’abonnement ou de téléchargement », précise Phil Farhi. « Il ne faut pas seulement s’intéresser au prix mais aux niveaux d’audience et de visionnages atteints. »

La gratuité d’un produit en augmente la consommation. C’est une règle microéconomique avérée et une tendance prévisible. En effet qui ne voudrait pas d’un repas gratuit ? Ce qui est plus surprenant c’est que YouTube affirme pouvoir générer autant de recettes que des services payants à l’instar d’iTunes.

« Si on se penche sur les chiffres de Lady Gaga et que l’on compare le nombre de visionnages d’une vidéo sur YouTube et le nombre de téléchargements sur iTunes, il est évident qu’elle gagnera plus d’argent au travers d’un téléchargement payant que d’un visionnage sur YouTube » explique Phil Farhi. « En revanche si l’on raisonne en termes de trafic (c’est à dire le nombre de personnes qui regardent plusieurs fois ses vidéos, qui les regardent avant même de télécharger la chanson ou même découvrent l’artiste sur YouTube) il est aisé de comprendre comment ce système gratuit peut rivaliser avec un service payant. »

Le dilemme entre musique gratuite et musique payante a d’autant plus d’écho que la musique est aujourd’hui de plus en plus distribuée via des applications installées sur les téléphones mobiles, ordinateurs et à terme télévisions ou même autoradios. Les petits développeurs ne pouvant négocier des licences en propre auprès des labels mais désirant intégrer la lecture de morceaux complets à leur offre font face à un choix difficile. Ils peuvent soit intégrer gratuitement les vidéos YouTube à leur application (via Discovr) soit développer un abonnement limitant le temps d’écoute à 30 secondes pour les non-inscrits (MusicMapper).

Il y a quelques semaines, nous avons interrogé YouTube sur les risques que font peser sur l’industrie musicale une offre de musique gratuite et à la demande devenant une alternative à des services tels que MOG, Rdio, Rhapsody ou Spotify auprès des utilisateurs et des développeurs.

« Vous soulevez des questions intéressantes au sujet de certaines de ces applications » nous a répondu le directeur des partenariats liés aux contenus  Chris Maxcy. « Notre philosophie est la suivante : nous souhaitons rendre notre contenu le plus accessible possible. Nous voulons être la plus grande plateforme de divertissement, et nous pensons l’être déjà. Nous voulons nous assurer que les internautes ont accès aux vidéos par différents moyens…Tout cela est positif mais le risque avec ce principe et le système attenant, c’est que quelques personnes dans le monde abuseront de votre bonté et de l’accessibilité du contenu. Avec nos APIs, la grande majorité des développeurs respecte nos conditions d’utilisation. »

Sur les 1à vidéos les plus populaires sur YouTube, sept sont musicales

Les conditions d’utilisation de l’API YouTube précisent que les développeurs qui veulent intégrer des morceaux entiers à leur application peuvent le faire seulement s’il s’agit d’applications non commerciales (NB : cette information a été livrée par Farhi lors de l’entretien mais apparemment YouTube autorise l’utilisation de son interface dans une optique commerciale), si les vidéos complètes sont présentées et non seulement la musique qui en est extraite, et si les publicités de YouTube sont prises en compte.

Songza, Muziic et d’autres services n’ont pas respecté ces règles il y a quelques années, suite à quoi YouTube leur a interdit l’accès à son API ou menacé d’interdiction.

« Je pense que les applications intégrant la musique sont une excellente idée et nombre de services sont sérieux. Il est plus intelligent pour un développeur de s’assurer de respecter les conditions d’utilisation que de penser pouvoir les contourner pour accéder à notre plateforme » précise Phil Farhi. « Ils seront obligés de cesser leur activité et l’expérience du consommateur sera mauvaise car il ne pourra plus regarder les vidéos YouTube ».

Il est donc clair que si les développeurs d’applications poussent trop loin leur intégration de YouTube, ils en seront empêchés et YouTube a prouvé par le passé être capable de telles mesures. En revanche le constat que la musique gratuite est aussi rentable que la musique payante prouve que les développeurs devraient inclure les deux options : des vidéos YouTube pour les fans qui ne veulent pas payer pour écouter de la musique et un service d’abonnement tel que Rdio pour ceux qui désirent le faire.

A terme, le véritable bénéficiaire du postulat « la musique gratuite et la musique payante génèrent autant de recettes » pourrait être Spotify, ou même Google.

Phil Farhi constate le succès de Spotify sur la plateforme Facebook en Europe, car les internautes intègrent les liens Spotify à leur fil d’actualité (la version gratuite offre jusqu’à 20 heures de musique par mois). De plus, Spotify s’intègre directement à Facebook comme un réseau de partage musical. En revanche aux Etats-Unis les utilisateurs de Facebook préfèrent largement intégrer la musique via YouTube, comme chaque fan de musique américaine sur Facebook a pu le constater.

L’atout de Spotify réside dans sa capacité d’une part à rentabiliser l’écoute gratuite au travers de la publicité, d’autre part à permettre aux utilisateurs prêts à payer des services supplémentaires (application mobile, lecture hors ligne, meilleure qualité de son, absence de publicité) de ne pas changer de service et risquer de perdre leurs playlists, notes et contacts.

La leçon à tirer du débat entre YouTube et les services de musique payants est que Spotify, ou un type de service équivalent tirant profit à la fois de la musique gratuite et payante, est capable de générer des recettes au sein d’une industrie en proie à une profonde crise.

Article initialement publié sur Evolver.fm et traduit par Audrey Malmenayde.

Crédit photos : FlickR CC codenamecueball & captures d’écran.

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