OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Petit drame à la BNP Monaco http://owni.fr/2012/01/25/bnp-monaco-gino-stephanie/ http://owni.fr/2012/01/25/bnp-monaco-gino-stephanie/#comments Wed, 25 Jan 2012 16:44:20 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=94369

C’est l’histoire de Stéphanie Boy. Une Niçoise qui édite un magazine local, plutôt kitsch, sur l’actualité des gens très riches et très bling-bling habitant la Côte d’Azur [pdf]. En 2010, elle bondit à la lecture d’un article du Canard enchaîné [pdf] sur le scandale des obligations argentines proposées par BNP Monaco – des obligations appelées “Tango”. Stéphanie entrevoit la possibilité pour son compagnon Gino C, retraité italien septuagénaire, de récupérer la coquette somme de 600 000 euros qu’il a perdue dans ces titres vendus par BNP Monaco.

Le papier du Canard révélait qu’une cliente avait décidé de porter plainte contre l’établissement financier, qui se dénommait alors UEB Bank et était une filiale commune à la BNP et à la Dresdner Bank. Afin de récupérer l’argent englouti dans ces obligations considérées comme très risquées. À juste titre : en 2001, l’Argentine avait fait faillite. Un banquier adepte des positions risquées, était mis en cause, Pascal Stillitano. Il aurait ainsi permis à la banque d’encaisser de substantielles commissions.

Plusieurs clients italiens n’ont pas hésité à porter plainte. Dans un premier temps,  Gino tente un accord à l’amiable avec la banque, qui refuse. Il les menaces de porter l’affaire devant la presse, sans succès. Conséquence, un article parait en décembre dernier dans Libération.

Avec un peu de pathos dans le storytelling de Stéphanie Boy : “Gino voulait placer son argent comme un bon père de famille et ils lui ont refourgué des obligations argentines, se plaint-elle. Après coup, même s’il n’est pas à la rue, il a fait une grosse déprime.” Une grosse déprime qui ne l’empêchait pas de faire des sketches en 2008 devant la caméra de sa compagne… Dans la foulée, Gino assigne la BNP Paribas Wealth Management Monaco (le nouveau petit nom de BNP Monaco) et réclame 700 000 euros, comme le montre le document ci-dessous.

Le Duce

Notre retraité plaide d’une part le défaut de conseil, aiguillé par la jurisprudence. D’après Libération, sur les quatre cas portés devant les tribunaux, un seul aurait gagné, sur ce point-là. La cour d’appel de Monaco a condamné cet automne la banque à verser 80 000 euros. Les trois autres ont été déboutés car il a été démontré que les clients avaient bien passé les ordres, contrairement à leurs allégations.

D’après les courriers internes que s’est procurés OWNI (ci-dessous), la maison-mère, basée à Genève, avait alerté Monaco sur le caractère hautement spéculatif des obligations argentines. À tel point qu’elles avaient été retirées des porte-feuille des clients sous mandat de gestion. Mais le banquier Pascal Stillitano, aurait continué d’en acheter jusqu’en 2001, fort de son statut et de sa propre conviction. Nous avons tenté en vain de joindre Pascal Stillitano, qui a quitté la BNP fin 2003 après un départ négocié. D’après un ancien collègue :

On l’appelait le duce, il avait réussi un coup de maître dans les années 90 en achetant sur le marché secondaire des obligations russes à 20-30% qui ont été remboursées à 100%. Il faisait la moitié du PNB de BNP Monaco. Mais il y croyait lui-même à ces junk bonds, il en avait acheté pour lui et son frère et ils ont tout perdu.”

Cette jurisprudence sur la notion de “défaut de conseil” fait s’étrangler la BNP : “Ce jugement instaure une obligation de déconseil. Nous avons le devoir d’informer mais ensuite nous ne devons pas nous immiscer dans les affaires des clients.” L’assignation de Gino reproche aussi à la BNP d’avoir agi dans son dos : “des opérations d’achat et vente ont été pratiquées de manière discrétionnaire par la banque sur ses avoirs déposés.” Mais l’acte juridique précise : “Monsieur GC [...] souhaitant tirer un trait sur ce douloureux épisode, s’est débarrassé de l’intégralité des documents bancaires en sa possession.”

La banque répond que son client avait signé “une décharge relative aux instructions transmises par téléphone, télégramme, télex et télécopieur, pour acceptation des ordres de la part de la Banque et que les relevés des 7 novembre 2003 (avant le transfert d’une partie des avoirs à destination du compte de M. C) et 6 octobre (date de l’ordre de vente des obligations argentines) ont été signés et entérinés par M. C.” En clair, le client était au courant de ce qui se passait sur son compte d’après la BNP.

L’établissement opposerait son arrogance face aux clients mécontents. Interrogé par OWNI, Stéphanie Boy, qui se démène pour faire connaître les déboires financiers de Gino, affirme que le conseiller juridique de BNP lui aurait dit :

Nous à Monaco, on ne craint rien.

Parallèlement, en novembre, un blog anonyme signé d’une mystérieuse Françoise Zorro fait son apparition. Il reprend notre affaire depuis le début, vidéos à l’appui, c’est l’émission Fight for your rights :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Sur ce blog, le dernier billet en date est une lettre ouverte à Baudoin Prot, le président de BNP Paribas, avec en copie le prince Albert II de Monaco. Outre le dossier argentin, il porte de graves accusations – sans apporter de preuve – concernant les pratiques de la banque :

“- la banque avait pour seule logique  la logique du profit, au détriment de la recherche de la protection des intérêts de ses clients; en effet sur chaque opération de vente ou d’achat, les commissions très élevées et souvent surfacturées ne profitaient qu’à la BNP PARIBAS ( ex UEB)

- c’est un vaste  système de fraude en bande organisée sur les commissions et rétrocommissions qui a été mis à jour.”

Et de menacer :

“On peut se demander à juste titre si un tel système ne continue pas à prospérer jusqu’à aujourd’hui

Pour ce faire, nous communiquerons toutes ces informations aux avocats des victimes de la BNP PARIBAS MONACO, afin qu’ils demandent  que soient saisies les boites vocale et  mails de plusieurs employés de la bnp Paribas au premier novembre 2003 et au mois d’aout 2010, car ces enregistrements contiennent les preuves de ce que nous affirmons.”

Ces propos ne semblent pas inquiéter outre mesure la BNP, qui préfère appliquer sa tactique éprouvée du silence. Dernier épisode, un plaisantin se serait amusé à contacter la direction de BNP sur ce sujet en se faisant passer pour Michel Pébereau avec un faux compte mail ouvert sur Yahoo. Piège grossier mais qui aurait fonctionné.

Plusieurs hauts responsables y ont répondu : Jacques d’Estais, le directeur général adjoint, Paul Perraudin, responsable de la conformité, des affaires juridiques et du contrôle permanent en Suisse (dont dépend BNP Monaco), Dominique Roy, directeur de BNP Monaco, et Pascal Boris responsable Europe internationale de BNP Paribas Wealth Management. Interrogée, la banque a reconnu implicitement que le subterfuge avait marché : “les réponses ont été envoyées par erreur.” Et affirme ne pas savoir qui est à l’origine du mail trompeur.

La note évoquée dans ce mail, qu’OWNI s’est procurée, n’est pas vraiment à l’avantage des riches plaignants. On y apprend que quinze clients en contact avec Pascal Stillitano ayant souscrit ces titres ont fait des réclamations, “lesquelles avaient fait l’objet de déclarations d’incidents pour un total de 2,8 millions d’euros.” Un seul a obtenu une indemnisation parce qu’il avait souscrit les obligations en 2005, après la faillite de l’Argentine, ce que la banque ne lui avait pas dit. Sinon “dans la majorité des cas, les réclamations ont été clôturées”. La banque s’est retrouvée devant les tribunaux cinq fois, deux plaignants ont été déboutées en 2006 et 2007, pour trois autres les procédures sont en cours (dont une sur appel de la banque).

BNP Monaco n’est pas le seul établissement dans cette situation : la note évoque le Crédit foncier de Monaco. Mais là encore “deux jugements de 2006 et 2007 ont rejeté les prétentions du demandeur.” Le cas de Gino ne semble pas les inquièter pas outre-mesure : “La lettre de réclamation adressée en août 2011, qui faisait référence à des articles de presse, fait penser à une réclamation d’opportunité, le client ayant attendu plus de dix ans pour porter ses griefs à notre connaissance, et ses demandes portent en partie sur des souscriptions qui avaient été réalisées dans des établissements concurrents.” “D’un point de vue juridique, celui-ci ayant assigné la Banque, les éventuels dédommagements dépendront du jugement qui sera rendu par les tribunaux Monégasques.

D’un point de vue psychologique, compte-tenu des informations mentionnées dans son dernier message, nous sommes disposés, comme nous l’avons fait précédemment, à éventuellement recevoir le client pour l’écouter et nous expliquer à nouveau avec lui.”

Stéphanie Boy fait valoir qu’en Italie, les banques ont été condamnées à de nombreuses reprises pour avoir fait acheter à leurs clients des obligations Tango. Mais pas vraiment à Monaco.


Illustration de couverture par Marion Boucharlat et Ophelia Noor pour Owni /-)
Photo par Debbie Li (cc) via Flickr

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La brigade financière dément BNP Paribas http://owni.fr/2011/12/05/la-brigade-financiere-dement-bnp-paribas/ http://owni.fr/2011/12/05/la-brigade-financiere-dement-bnp-paribas/#comments Mon, 05 Dec 2011 17:38:12 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=89180

Selon des documents obtenus par OWNI, BNP Paribas a monté à la va-vite un dossier pénal pour écarter le directeur général de sa filiale “titres”. Licencié début 2010 dans le cadre d’une affaire de financement d’une mine en Afrique, Jacques-Philippe Marson a, le mois dernier, relancé cette affaire en décrivant ses mésaventures sur son blog. L’ancien patron de BNP Paribas Securities Services (BP2S) dénonce un “licenciement abusif” et pointe quelques bizarreries de la part du groupe BNP Paribas.

Or, une enquête de la Brigade financière (dont nous publions une copie au bas de cet article) lui donne raison sur plusieurs points et le disculpe des charges pénales, deux ans après cette éjection expresse. Laissant supposer que la banque a fabriqué un dossier pénal pour se débarrasser d’un cadre supérieur devenu encombrant.

Tout commence le 30 septembre 2009. BNP Paribas reçoit une lettre de l’avocate d’un homme d’affaire malien, Allou Diallo, mettant en cause Jacques-Philippe Marson, directeur général de BP2S. Il est accusé d’avoir fait preuve d’un “comportement blâmable, notamment d’un point de vue éthique et déontologique” dans le cadre d’une recherche d’investisseur pour un fonds canadien. Le véhicule financier, le Mansa Moussa Gold Fund (MMGF), était destinée à financer une mine au Mali exploitée par la société Wassoul’or, les deux structures étant présidées par l’accusateur, Allou Diallo.

200 millions de dollars

L’investisseur amené par Marson, François de Séroux, était censé apporter 200 millions de dollars américains via sa société Ventra Consulting. Laquelle fera finalement défaut. L’avocate du fonds lésé invite la banque à trouver une solution à l’amiable, parmi laquelle une possibilité d’intéressement au financement du projet, “compte-tenu du fait que le marché de l’or est actuellement porteur”.

Octobre 2009 : la BNP ordonne une inspection générale (IG) spéciale, procédure interne de contrôle.

Novembre 2009 : mise à pied de Jacques-Philippe Marson. Il lui est reproché de ne pas avoir respecté les principes et les procédures déontologiques et de prévention du blanchiment en vigueur à la BNP dans cette affaire, mais également deux autres.


Extrait des conclusions de BP2S aux prud’hommes

Janvier 2010 : Jacques-Philippe Marson est licencié pour faute grave. À la suite des plaintes croisées entre le fonds canadien, le groupe BNP Paribas et Jacques-Philippe Marson, une enquête préliminaire est ouverte par la Brigade financière, pour le compte du parquet de Paris.

Les plaintes seront classées sans suite. L’enquête révèle que la majorité des faits reprochés à l’ancien DG pour justifier son licenciement ne sont pas avérés :

Il ne pouvait donc être établi de manière certaine qu’il avait été prévu un intéressement financier personnel au profit de M. Marson. [...]
S’agissant d’un éventuel conflit d’intérêts invoqué par la banque à l’encontre de M. Marson, il n’était apporté ou recueilli aucun élément l’établissant de manière certaine. M. Marson apparaissait au contraire avoir agi dans un souci permanent de protection de la banque et de son client, la société Ventra Consulting.

Concernant le compte ouvert chez BP2S au nom Ventra Consulting, la BF infirme les conclusions de l’IG :

Il apparaissait que toutes les procédures préconisées par la banque concernant la prudence et la lutte contre le blanchiment avaient été suivies et respectées sans que M. Marson n’y fût intervenu de manière particulière.

L’ex DG n’est pas non plus intervenu en particulier dans le dossier. Sur le mélange des casquettes privées et professionnelles, là encore la BF met les choses au clair :

Contrairement à ce que prétendait le MMGF dans sa plainte, il n’était pas apporté la preuve que M. Marson eût “usé et abusé” de sa qualité de directeur général de BP2S dans le cadre de cette opération. Au contraire, les pièces produites et les déclarations recueillies mettaient en évidence le caractère personnel de son intervention.

De même, les autres projets pointés du doigt par BNP Paribas ne mettent pas en cause la déontologie de Jacques-Philippe Marson. Dernier point déminé, des opérations touchant des diamants, en lien avec le non respect de la politique des cadeaux du groupe ou la rémunération de variable de Jacques-Philippe Marson :

Elles n’apparaissaient pas susceptibles de constituer des infractions pénales et, eu égard au résultat des investigations menées concernant la relation Ventra Consulting et MMGF, et en accord avec le Parquet de Paris, il n’était pas procédé à plus d’investigations à leur sujet.

Restent principalement deux griefs, selon la BF. Contrairement à ce que Jacques-Philippe Marson soutenait, il avait bien été mandaté par le MMGF pour rechercher un investisseur et son mandat avait été renouvelé “à plusieurs reprises et à sa demande, jusqu’en février 2009, date à laquelle ils annonçaient aux représentants du MMGF la défaillance de l’investisseur potentiel.”

L’ex DG est aussi mis en cause pour avoir masqué le nom de l’investisseur, François de Séroux-Fouquet, sur des documents, “ôtant toute possibilité au MMGF d’exercer un recours aux fins d’obtenir l’exécution de ses engagements par l’investisseur défaillant.”

Interrogée par la BF sur les conclusions de l’IG affirmant que les agissements de Jacques-Philippe Marson ont “clairement enfreint les règles et normes en vigueur au sein du groupe”, Hortense Boizard, responsable risque, conformité et contrôle permanent de la filiale BP2S, avait répondu :

Je pense qu’elle n’est pas très factuelle. J’aurais souhaité que l’inspection générale indique clairement la liste des règles et normes en vigueur qui ont été enfreintes.

Interrogée par mail, la BNP n’a pas répondu à nos questions. Les demandes de transaction n’ont jamais eu de suite. “Ils ont coupé les ponts, ils ont fait le black out, nous a expliqué Julia Boutonner, l’avocate de M. Diallo. Ils ne voulaient négocier avec personne.” Et de souffler “M. Marson aurait eu d’autres cadavres dans les placards”. D’après la Brigade financière, les cadavres ressemblent surtout à des baudruches dégonflées.

Appel de la décision

Selon elle, l’affaire s’est arrêtée là car “ce n’était l’intérêt de personne que cette affaire soit poursuivie.” Pourtant, Jacques-Philippe Marson souhaite aller au civil et a fait appel de la décision des prud’hommes. Il affirme être prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour quelles raison la BNP a-t-elle agi ainsi ? Un salarié qui a souhaité garder l’anonymat nous a suggéré de revenir sur un scandale remontant à l’été précédent les faits. La BNP est alors sous le feu des médiaspointée du doigt pour avoir provisionné un milliard d’euros de plus qu’en 2008 à destination de ses traders, après avoir reçu 5,1 milliards d’euros d’aides de l’État. Voyant venir un potentiel second scandale, la BNP aurait donc viré fissa le DG de sa filiale. Quelques articles paraîtront alors aux titres fleurant bon le scandale à la sauce Françafrique.

Maladroitement, la défense désigne Diallo comme un “Madoff malien”, propos repris par Le Point. En plus de valoir à l’hebdomadaire un droit de réponse et un procès en diffamation, cet argumentaire est à double tranchant : l’idée que le DG de BP2S ait pu se faire avoir ainsi n’est pas de nature à rassurer ses partenaires en affaire. Or la confiance est l’actif le plus précieux d’une banque, celui qui attire les clients. BNP-Paribas s’empressera bien de préciser qu’il n’y a eu aucune conséquence financière sur la banque et ses clients.


Photos via Flickr par Big Pilou [cc-by] ; Joanet [cc-by] ; Chris Jeriko [cc-byncsa]

Image de Une Marion Boucharlat pour OWNI

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Un ex-directeur de BNP balance http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/ http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/#comments Fri, 25 Nov 2011 08:23:01 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=87979

Lundi 14 novembre au matin, les employés de BNP Paribas Securities Services (BP2S), l’activité de titres de BNP Paribas, ont reçu un étonnant mail de leur ancien directeur, Jacques-Philippe Marson :

Chères amies, Cher amis, Dear Friends,

Le 9 novembre dernier marquait l’anniversaire de deux années passées après le premier jour d’une inspection générale “spéciale” qui a conduit scandaleusement à mon licenciement.  J’ai décidé de rompre le silence que je m’étais imposé et de m’exprimer publiquement par le biais d’un blog.
Je publierai au fil des jours et semaines qui viennent les événements tels que je les ai vécus.  Je vous livrerai analyse et reflexion à ce dossier qui s’avèrera accablant pour ceux qui l’ont intitié et pour ceux qui l’ont soutenu.

Intitulé “Histoire d’un licenciement abusif”, son site sur Tumblr (une plate-forme de microblogging) met sur la place publique les affaires internes qui ont abouti à sa mise à pied fin 2009, suivi de son licenciement pour faute grave. L’affaire avait été médiatisée à l’époque, dans une séquence peu glorieuse pour la finance, entre le krach de 2008 et les affaires Kerviel et Madoff.

En première lecture, l’affaire à l’origine de son éviction apparaît tortueuse. L’ex-dirigeant a été accusé d’avoir profité de sa position pour obtenir des commissions occultes de la part d’un homme d’affaire malien, Aliou Boubacar Diallo dans le cadre d’un projet minier au Mali. Trois plaintes croisées ont été déposées, la BNP contre Jacques-Philippe Marson, Aliou Boubacar Diallo contre Jacques-Philippe Marson et Jacques-Philippe Marson contre Alliou Diallo.

Suite à ces plaintes, le parquet de Paris a décidé de l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée aux experts de la Brigade financière, en janvier 2010. Lesquels, depuis, n’ont rien trouvé. Jacques-Philippe Marson justifie de sortir seulement maintenant du silence :

J’ai attendu que les plaintes soient traitées ou classées pour agir. Toutes les plaintes ont été classées. Je consacrerai un chapitre détaillé sur les trois plaintes.

Violence des échanges en milieu tempéré

Les quelques billets qu’il a déjà mis en ligne annonce la couleur, plutôt rouge colère que vert BNP. Promettant d’”appuy[er] par des preuves écrites et par des témoignages” ses accusations, il tape dur, d’emblée :

À ce jour le groupe n’apporte aucune preuve. Il se base uniquement sur le rapport “à charge” de l’inspection générale dont les conclusions sont absolument fausses et totalement mensongères. Une analyse détaillée en sera faite dans les chapitres à venir.

Selon lui, il y a à l’origine de la procédure, “une lettre de dénonciation”, le 30 septembre que “B. Prot, Directeur Général du Groupe BNP Paribas reçoit en mains propres de son frère”, Guillaume Prot alors directeur général du groupe Moniteur. L’avocate de l’homme d’affaire malien, Julia Boutonnet, décrit quant à elle Jacques-Philippe Marson comme un affabulateur. Quant au classement des plaintes, il est logique pour elle :

Le cas de M. Marson relevait plus du civil que du pénal, ce qu’on reprochait à mon client ne tenait pas la route et la BNP ne voulait pas faire de publicité.

Pour le manque de publicité, c’est loupé. L’état-major est aussi passé au couteau :

A ce jour, aucun membre de la direction générale du groupe, aucun membre des cadres dirigeants du groupe, aucun des cadres de mon équipe dirigeante n’ont jugé utile de m’accorder une seconde d’écoute.  Aucune des ces éminentes personnes n’a jugé utile de me soutenir dans cette double et terrible épreuve : professionnelle et personnelle.

Dans un billet publié ce jeudi, Jacques-Philippe Marson accuse implicitement Jacques d’Estais, qui lui a succédé, de diffamation :

Le lendemain, 24 novembre, mon responsable hiérarchique a réuni 350 cadres de BP2S pour les informer de ce qui se passait. Vous trouverez ci-après la version intégrale des propos tenus par Jacques d’Estais. Je vous laisse juge du caractère diffamatoire ou non de son discours.

Choc des cultures

Au final, choc des cultures garanti entre le milieu feutré de la banque, adepte de la logique verticale (“top-down”) et la plate-forme Tumblr, la plus populaire, le seuil d’accès le plus bas au blogging, plus connu pour ses gifs animés que pour servir de porte-voix aux victimes d’injustice.

Jacques-Philippe Marson a bien contacté des journalistes pour tenter d’attirer leur attention sur son histoire mais las : selon ses dires, son histoire n’est pas assez sexy à leurs yeux. Crucifier un ponte de la banque, c’est intéressant (lorsque son affaire a éclaté), le blanchir, nettement moins, a fortiori s’il n’a pas de révélations fracassantes à faire sur la BNP :

BNP est une organisation qu’en tant qu’organisation je respecte, ce sont des personnes qui sont responsables de mon licenciement. Et je ne suis pas un mouchard.

Il n’a pas non plus confiance en la justice, qui l’a débouté aux prud’hommes en un quart d’heure, comme un vulgaire justiciable de base :

D’habitude, ces affaires ne se règlent pas aux prud’hommes.

Selon lui, son drame se heurte au corporatisme des salariés, qui auraient modestement relayé ses demandes. Jacques-Philippe Marson parle carrément d’omerta. L’un de ses anciens collègues a ainsi refusé de faire suivre le mail de JP Marson :

je n’ai pas trop envie d’aller à la pêche au mail dans ce cas précis. Ce qui se passe à Pantin reste à Pantin!

L’ex-dirigeant assure que son blog a fait son petit effet. Un salarié nous a raconté que la méthode avait surtout surpris :

Ça a fait parler en interne, enfin surtout vu la méthode utilisée (un mail envoyé sur les mails pro lundi pendant la nuit).

La BNP semble avoir opté pour une défense basique. La plate-forme avait été débloquée voilà quelques temps. Curieusement, peu de temps après l’envoi du mail, l’accès était de nouveau bloqué pour le personnel connecté en interne. Contacté, le service de presse a eu cette réaction :

Il a un blog ? Vous m’apprenez quelque chose. Je ne m’occupe pas de la partie BP2S. [je lui dicte le nom du Tumblr] Tumblr est bloqué chez nous. Bon, il n’est pas content, ça fait du bien de se déverser.

Dans cette ténébreuse affaire, les détails manquent sur les raisons pour lesquelles la BNP aurait décapité l’ancien directeur. Pour l’heure, l’ex-dirigeant n’a que des hypothèses, qu’il refuse que nous rendions publiques. La suite au prochain post. Dans le cadre de cet article, nous avons tenté de recueillir des commentaires de la part de la direction de BP2S. En vain.

Images CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Cade Buchanan et PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification M Domondon

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http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/feed/ 33
Banques éthiques: les vilains petits canards de la finance française http://owni.fr/2011/02/14/banques-ethiques-les-vilains-petits-canards-de-la-finance-francaise/ http://owni.fr/2011/02/14/banques-ethiques-les-vilains-petits-canards-de-la-finance-francaise/#comments Mon, 14 Feb 2011 14:58:07 +0000 Claire Berthelemy et Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=38031 5 millions d’euros de fonds propres, plus de 26 000 sociétaires / actionnaires… « D’un point de vue purement réglementaire, nous avons le droit d’être une banque de plein exercice », annonce Marc Favier, responsable du projet de développement et d’innovation de la banque éthique La Nef. Seulement voilà : la Banque de France ne veut pas.

Partie de la loi de 1984, la concentration du secteur bancaire orchestré par la Banque de France a certes livré des mastodontes internationaux au secteur bancaire français, mais la prive aujourd’hui de tout réseau de banque éthique indépendant. Adossé au Crédit coopératif, lui-même membre du groupe Banques populaires-Caisses d’épargne, elle représente la seule alternative aux grands réseaux… bien qu’intégrée à l’un d’eux.

Créé à la même époque que La Nef, des établissements bancaires européens dédiés au financement de l’économie sociale et solidaire, aux projets écologiques ou à l’agriculture durable existent à deux pas : la GLS allemande, créée par des parents d’élèves dans la Ruhr à la fin des années 1960, Triodos en Hollande, la Banca Etica en Italie…

Toutes banques de plein droit là où La Nef ne dispose que d’un agrément bancaire limité, spécifique à la France, qui peut également se targuer d’avoir les critères d’autorisation d’exercice bancaire les plus complexes de l’Union européenne. Mais pas de hasard dans tout cela, juste une stratégie : celle du « big enough to win » (« assez gros pour gagner », ceci n’étant pas une expression officielle), consistant à privilégier les grands réseaux internationaux aux structures mutualistes proches des clients. De quoi couper l’envie d’un Bank Run au plus motivé des Cantona.

Des myriades de banques spécialisées des années 60 aux mastodontes de la finance des années 2000

Avant les années 1980, La Nef n’avait même pas eu besoin d’être une « banque » : constituée en association, la loi lui permettait le droit d’accorder des prêts et crédits à des entreprises ou des initiatives. Ses créateurs, militants de l’éducation alternative, de l’agriculture paysanne et de l’économie sociale et solidaire, se voyaient refuser régulièrement des prêts par les grandes banques pour financer leurs projets. Une liberté d’organisation que la loi du 24 janvier 1984 a fait méthodiquement voler en éclat : dans le but de prévoir la concurrence accrue du secteur (notamment au niveau européen), le Code monétaire et financier qu’elle instaurait mettait fin à la spécialisation des banques et « banalisait » leurs activités. Fini le Crédit maritime et stop aux réseaux réservés aux agriculteurs, la multitude de petits établissements et réseaux mutualistes se regroupent et oeuvrent à leur crédit défendant à la « consolidation du secteur bancaire français », pour reprendre les mots d’un rapport de la Banque de France. Les effets sont fulgurants : de 661 banques coopératives au moment de l’adoption de la loi, il n’en reste plus que 174 dix ans plus tard (voir le graphique ci-dessous).

Extrait du rapport annuel 2007 du CECEI (Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement)

Le monde mutualiste se voit obliger de se doter d’un organe central, la Banque française de Crédit coopératif, « afin d’assurer la solvabilité et les liquidités », précise Claude Sevestre, chargée de communication pour le groupe. Mais ce n’était qu’un premier pas…

Ebranlée par les scandales Enron et Worldcom, la finance mondiale s’organise pour protéger au mieux… les investisseurs ! Aux Etats-Unis, la loi Sarbanes-Oxley met les grands groupes en coupe réglée, exigeant la transparence des comptes que les grands dirigeants certifient personnellement. En France, les actionnaires sont rassurés par la Loi de sécurité financière (ou loi Mer) votée en 2003. Au programme : encore plus de concentration dans les banques pour « assurer les comptes ». « De plus grandes banques, ce sont de plus gros dépôts, de plus gros dépôts, ce sont de plus grosses garanties et de plus grosses garanties, c’est ce que la Banque de France a pour mission d’assurer », résume Marc Favier. L’année de la loi Mer, le réseau Crédit coopératif cesse d’être un réseau indépendant et est fondu dans le réseau Banques populaires avant la formation du groupe BPCE en 2009, devenu depuis deuxième réseau de France.

Dans les murs de la Banque de France, au centre même de cette évolution, l’organisme en charge de certifier les banques, l’Autorité de contrôle prudentiel, est née de la fusion de quatre organisations gérant auparavant chacune de leur côté banques, assurances, mutuelles et organismes de crédits et d’investissements.

La crise des grands condamne les petits

Si le protocole qui lie le Crédit coopératif à BPCE garantit l’autonomie de gestion, l’identité et la marque de la banque coopérative, ce mouvement de concentration a quasiment stérilisé le terreau de toute nouvelle tentative de création de banque. « La question de la création et de l’agrément d’une banque ne se pose pratiquement jamais, constate Laurence Scialom, professeure de Sciences Economiques à Paris X Nanterre. La dernière fois qu’un véritable mouvement de création des banques a eu lieu, c’était à la chute du mur de Berlin, avec les « pockets banks ». » Apparues dans tous les coins de l’ex-Europe de l’Est, ces établissements financiers nés dans la désorganisation de l’époque ont cependant bien vite été capté et racheté comme de parfaits relais pour les géants d’Europe occidentale (notamment allemand, français et autrichien). Sur le papier, l’usine à géant de la finance a fait ses preuves : selon un classement établi par La Tribune, 4 des 17 plus grandes banques en terme de résultat net sur les 9 premiers mois de 2010 étaient françaises.

Et pendant ce temps là, La Nef court l’Europe : depuis 5 ans, la banque éthique française tente de s’allier à l’espagnol Fiare pour profiter de l’agrément bancaire détenu en Italie par Banca Etica. « Grâce à la loi européenne, un organisme financier disposant d’un agrément bancaire d’une banque centrale d’un Etat membre peut implanter des filiales où elle le souhaite ailleurs dans l’UE », précise-t-on à La Nef. Or, en difficultés depuis quelques temps, Banca Etica a repoussé encore le projet sine die.

Or, derrière ces notions de « transparence » et de « prudence » mises en avant par la Banque de France ne se cachent que les exigences des acteurs de la Bourse. Le circuit emprunté par les euros déposés sur un simple compte courant reste aussi opaque au commun des mortels qu’il l’était avant, sauf dans les établissements éthiques. Et tout ce besoin de sécurité n’est né que de la remise en cause de la séparation des métiers des banques entre le prêt, la gestion des comptes et les activités de placement sur les marchés, qui a amené les grands groupes à prendre de plus gros risques devant être assurés avec de plus gros dépôts…

En manque cruel de crédit, les filières d’énergie, d’agriculture ou d’économie alternative ne dispose aujourd’hui de l’aide que de petits acteurs, alors même que les subprimes ont montré qu’en matière d’emploi comme en matière de placement, le secteur coopératif était plus solide. « Cette absence d’agrément est paradoxale car, au final, les banques coopératives ont une bien meilleur visibilité de leurs actionnaires car ce sont aussi ses clients », résume un cadre de La Nef. Mais cette transparence là ne semble pas avoir été promue au rang de règlement du système bancaire français. Une simple question de « moralisation du capitalisme », en somme.

Article publié initialement dans le cadre de notre dossier OWNI.fr : Banques éthiques, monnaies libres… et toi, tu fais quoi après la crise ?

Illustrations Flickr CC tim geers ; @NO4 et Acmolenaar

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La révolution Cantona: une fausse solution pour un vrai problème http://owni.fr/2010/12/02/la-revolution-cantona-une-fausse-solution-pour-un-vrai-probleme/ http://owni.fr/2010/12/02/la-revolution-cantona-une-fausse-solution-pour-un-vrai-probleme/#comments Thu, 02 Dec 2010 17:10:16 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37307 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des files d’attente de centaines de personnes devant les agences, le site de consultation des comptes en ligne inaccessible suite aux connexions répétées… En septembre 2007, la banque anglaise Northern Rock fut assailli par ses épargnants qui, pris de panique face à son effondrement sous les coups de la crise des subprimes, ont couru retirer leurs économies, de peur que la crise ne les avale: premier « bank run » depuis la crise argentine de 2001, ce mouvement de panique a dépouillé les comptes de Northern Rock d’un milliard de livres sterling en deux jours. Une performance historique que l’ex-attaquant de Manchester Eric Cantona voudrait reproduire le 7 décembre pour punir les banques fauteuses de crise. Et qui, malgré un buzz conséquent, n’effleurera même pas la plaque du siège de la BNP.

Tout commence le 8 octobre 2010, dans un canapé anonyme où, affalé, Eric Cantona disserte face à la caméra de Presse Océan sur les mouvements de grève qui se succèdent dans le pays : selon le footballeur à la retraite, les millions de Français qui sortent dans la rue font fausse route, voire retournent l’idée contre eux-mêmes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La révolution serait « très simple à faire » : le système tournant autour des banques, « il peut être détruit par les banques » et, pour ce faire, les manifestants n’auraient qu’à « retirer leur argent et les banques s’écroulent ». Un syllogisme assez séduisant pour convaincre 30 000 personnes de rejoindre le groupe Facebook proposant de retirer tout son encours et fermer ses comptes épargnes le 7 décembre :

  • les banques tirent leur pouvoir de l’argent ;
  • les clients détiennent l’argent ;
  • les clients détiennent le pouvoir sur les banques.

Un raisonnement presque aussi simple et limpide qu’il est faux.

Une (impossible) pichenette de moins de 0,3% dans l’édifice bancaire français

Pour commencer, personne ne pourra « clôturer » tous ses comptes le 7 décembre pour des raisons légales : la loi recommande pour commencer d’adresser une lettre en recommandé à la banque pour réaliser l’opération, dont la réception ouvre un délai de préavis de un à trois mois… Et ceci pour chaque compte. Quant aux limites de retraits, elles ne permettraient guère les fuites : pas évident de retirer des dizaines de milliers d’euros avec sa Mastercard à coup de 300€ par semaine. Même au guichet, la limite est fixée pour la BNP à 2 000€ (pouvant être levée à 3 000€). Au delà (et jusqu’à 8 000€), l’avis préalable du guichetier est indispensable.

Beaucoup d’agitation pour pratiquement rien: car, quand bien même les 30 000 personnes retiraient en un même mois tout leur encours (à moins de disposer de sommes considérables sur leurs comptes), les quelques dizaines ou centaines de millions n’affecteraient pas le moins du monde les banques visées, d’autant plus qu’elles s’étaleraient sur plusieurs établissements.

« Une telle initiative ne poserait problème que si les banques étaient limite en réserve, or c’est exactement l’inverse en ce moment, insiste Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint Cyr et à l’ENSAM, animateur du blog Les Econoclastes. Le crédit est restreint et les banques sont noyées sous les liquidités apportées par les banques centrales. Les banques n’auraient qu’à se contenter de retirer sur leur compte à la banque centrale pour compenser la demande de billet. » On est donc bien loin de l’agonie financière de Northern Rock.

Dans l’hypothèse (absurde, donc) d’un retrait individuel de 30 000€ par « bank runner », les 900 millions soustraits aux caisses seraient vite remplacés et ne pèseraient qu’une goutte d’eau dans les 269 milliards d’encours total des comptes et produits d’épargne des ménages (source : banque de France, septembre 2010), qui ne sont eux-même qu’une partie de l’argent des banques.

La seule conséquence réelle de ce « bank run » serait de mettre en grande difficulté de paiement chacun des « révolutionnaires » ayant eu l’idée de suivre Cantona : selon la Fédération des banques françaises, les virements constituent en valeur 83,2% des transactions en valeur opérées en France. Sans compte en banque, plus moyen de percevoir son salaire, de faire son virement EDF, de recevoir les prestations sociales… Dans les faits, l’idée de Cantona mise en œuvre par une poignée de révoltés se retournera bel et bien « contre eux-mêmes ». Encore faudrait-il que les candidats au syphonage ne soient pas trop endettés : difficile de dire à son conseiller Société générale de fermer les yeux sur un emprunt immobilier ou auto pour aller courir après “King Eric”…

Illusion des effluves de « l’argent magique »

Malgré l’évidence de cet échec, la « révolution à la Cantona » agite les médias comme les politiques : Christine Lagarde elle-même s’est sentie de prendre la parole contre le footballeur, bien vite contrecarrée par Cécile Duflot… Même Baudoin Prot, pourtant assuré par les milliards des divers plans de relance de la BNP, s’est fendu d’une critique. Car, en miroir de cet espoir de changer les choses, cette poussée de fièvre révèle surtout l’incapacité d’agir sur le système.

Les tours Société Générale à La Défense

« En dehors des critiques habituelles qui se sont amplifiées, une idée vient de plus en plus souvent à la bouche des clients quand ils sont en agence : que l’augmentation des tarifs en agence de détails servent à payer les bonus des traders, qu’on leur faire « payer », la crise »

Auteure d’une thèse sur la sociologie de la banque et de ses clients, Jeanne Lazarus (doctorante à l’EHESS) a observé l’évolution des rapports tendus dans les locaux même des banques et constate un changement dans la perception de l’économie : « les sociétés occidentales ont le sentiment d’avoir une connaissance de plus en plus aiguë des phénomènes économiques : à force d’entendre parler de la crise, tout le monde se prend pour le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, un peu comme chacun s’imagine sélectionneur de l’équipe de France pendant le Mondial, explique la sociologue. L’idée de Cantona est une présentation rapide et simpliste des processus économiques mais chacun à envie d’avoir un avis. »

Dans son association entre un geste simple (retirer son argent) et la résolution d’une injustice pénible (le syphonage de l’économie au profit de banques fautives), la « révolution Cantona » a tout le charme de la « pensée magique » : traversons le passage clouté à cloche-pied sans tomber et tout ira mieux.

Une fois de l’autre côté de la rue, rien n’a changé. Pire : nous y avons cru et devons retourner à notre triste impuissance.

Une solution enfantine à la désillusion des plans proposés par les États

D’autres initiatives se sont proposées de retourner contre le système sa propre force. Parmi elle, l’idée ingénieuse de l’ancien trader de Lehman Brothers Mike Krieger : pour abattre la très puissante banque d’affaires JP Morgan, il propose que chaque Américain (bien qu’une centaine de millions suffise) débourse 25 ou 50$ pour acheter une petite pièce d’argent. Pourquoi ? Afin de faire exploser le prix du métal précieux, sur lequel JP Morgan spécule à la baisse depuis des mois, au point d’attirer l’attention des régulateurs financiers : détenteurs de quantités monstrueuses (1/3 du marché selon certaines estimations), les financiers seraient obligés de « garantir » le prix de leur ressource à coup de milliards… Une manœuvre à même de couler la banque d’un seul mouvement ! Une solution ingénieuse mais bien plus complexe à expliquer au grand public que le simpliste « bank run » de Cantona.

Le succès de la proposition tombe en fait au meilleur moment pour parler à tout un chacun : frappés par la crise un premier coup, les Français et leurs voisins européens voient désormais arriver la rigueur comme une lame de fond, à laquelle s’ajoutent les torrents de dettes grecques et irlandaises… Dans un élan commun, des millions ont arpentés les rues, sacrifiant leur temps et leurs congés pour abattre la réforme des retraites. En vain.

Un peu à la manière des promesses vides concernant l’environnement, une « urgence » systématiquement remisée depuis plus de 10 ans, le besoin de communiquer sur la « résolution » de la crise à chaque nouveau sommet a fini par s’user : le G20 de Londres promettait de l’emploi, de la sécurité… Et voilà que l’augmentation du Smic sera limitée au minimum légal. Les seuls sauvés sont les établissements financiers.

Les clients répètent souvent ce genre d’accusation : « vous êtes dur avec moi mais vous prenez des risques inconsidérés sur les marchés » est une attaque courante des clients contre leur conseiller qui leur refuse un crédit, rapporte Jeanne Lazarus. En fait, la financiarisation de l’économie a eu des effets très importants sur la vie quotidienne des gens.

Désorientés, livrés seuls face à leur injustice, certains en viennent à écouter Éric Cantona pour savoir comment résoudre la crise par un moyen magique. Une solution qui, en plus d’être inefficace, délaisse le problème fondamental d’une dépendance aiguë au système financier qui tient à sa merci chaque épargnant de la naissance à la tombe, de son prêt étudiant à son emprunt immobilier.

Le lendemain de la sortie de la vidéo mourrait Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie français : moins médiatisé que le footballeur, il avait eu le tort de critiquer un peu trop tôt les traders, les banques qui misaient avec de l’argent qui ne leur appartenait pas sur des marchés dont elles entretenaient l’instabilité. Republiée par Marianne, sa dernière analyse de l’effondrement du système bancaire clamait sans détour que crise et mondialisation étaient liées et soulignait que des « tabous indiscutés » depuis des années nous avaient tous menés dans ce même bateau avec les économies occidentales et les banques (même si ces dernières ont su en tirer de nouveaux bénéfices).

Avant que la prochaine crise ne nous prenne de cours, il est encore temps de délaisser les vidéos de Cantona pour lire les thèses bien vivantes de ceux qui se sont inquiétés avant lui et ont préconisés de vraies solutions.

Photo FlickR CC : William Grootonk ; Thinkpanama ; Alpha du Centaure.

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