Comment travailler dans les médias chinois sans renier ses valeurs?

Être une plume indépendante dans la Chine actuelle n'est pas une chose évidente. L'attrait du pouvoir est fort et l'adoubement des journalistes courant. Témoignage de Zhang Ping, l'un des rares libéraux continuant à écrire.

Dans le monde conservateur des médias chinois, Zhang Ping (nom de plume Chang Ping) est de la race rare des libéraux. Garder une voix indépendante au cœur des média chinois lourdement censurés est un dilemme de fond et, comme le montre l’expérience de Chang Ping, demande souvent un certain sens du martyr.

Chang Ping a été rédacteur en chef au Southern Weekend et rédacteur en chef adjoint au Southern Metropolitan Weekly. Les deux journaux font partie du groupe Southern Media Group, dans lequel l’état est actionnaire, il appartient à une famille basée à Guangzhou, est connu pour ses prises de position agressives sur les sujets politiques sensibles et réputé l’un des bastions libéraux de la Chine pour les médias écrits.

En 2007, Chang Ping était nommé [en chinois ] l’un des chroniqueurs chinois les plus influents par le Southern Weekend.  En 2008, suite à la résurgence des manifestations anti-chinoises au Tibet, il a écrit plusieurs éditoriaux sur le Tibet, dont un papier controversé “Comment connaître la vérité sur Lhassa ?” , dans lequel il demandait au gouvernement d’accorder plus de liberté aux médias pour couvrir le Tibet.  Il a été licencié de son poste au Southern Metropolitan Weekly.

Selon le Projet sur les médias chinois, en août cet été, les autorités ont empêché Chang Ping d’écrire pour le Southern Weekend et le Southern Metropolitan Daily. Le dessinateur Kuang Biao décrit les mésaventures de Chang Ping dans une caricature montrant le journaliste étranglé de façon menaçante :

Quand j’ai appris la nouvelle il y a quelques jours,  j’étais en colère et  j’ai fait ce dessin !  J’ai dit que je voulais utiliser la caricature pour terminer ma carrière en témoignant sur ce que je vois dans notre société, parce que je suis un humoriste qui vit avec son temps.  Cette personne est réelle.  Et ses problèmes sont réels…  Il s’appelle Chang Ping.

Dans un entretien récent avec le journal taïwanais Wang Bao, Chang Ping s’interrogeait sur le conflit inné entre ses convictions libérales et le fait de travailler un secteur contrôlé par l’état.

Tentations dans les média chinois

De par leur pouvoir d’influence, les média sont souvent la cible de cooptation par le gouvernement chinois.  Chang Ping raconte ses réponses aux tentations du gouvernement :

Le secteur professionnel des médias en Chine n’est pas à plaindre. Il a beaucoup de pouvoir, surtout quand il est prêt à collaborer avec le gouvernement. Les dirigeants utilisent des tentations variées, comme des projets ou des bénéfices financiers discrets, à charge de revanche. Il y a quelques jours, un officiel du département de la propagande m’a invité à écrire un article pour eux, ce que j’ai refusé de faire.  En fait j’aurai pu discuter avec eux de quel ton donner à l’article pour que la propagande ne soit pas trop évidente et donner aux lecteurs la fausse impression que je voulais vraiment écrire cet article.  Il n’y a pas beaucoup de gens qui rejettent ces offres d’emblée comme moi.

Parce que les médias chinois ont beaucoup de pouvoir, les tentations de se laisser corrompre sont nombreuses. Il y a plusieurs forces qui s’opposent en ce moment. Le gouvernement veut offrir des avantages aux médias.  En même temps, de nombreux professionnels des médias, dont certains du Southern Media Group, se rebellent, juste pour pour pouvoir être cooptés. Ils seraient ravis d’être invités à diner par des officiels. Je fais très attention à la cooptation. Le refus des médias chinois n’est pas toujours noir et blanc et il est facile pour les médias de devenir un groupe d’intérêt.  Plutôt que de considérer les médias comme des pionniers, qui créent un espace de libre discussion, il serait plus important d’admettre leur tendance à se laisser corrompre.

Le conflit entre être un écrivain et être un officiel

La Chine est un pays où les systèmes administratifs sont très importants. Tout poste d’administrateur professionnel correspond à un rang officiel. Un rédacteur en chef dans un journal est donc l’équivalent d’un officiel et Chang Ping s’interroge sur le conflit entre ses écrits et le fait d’être un “officiel” :

Écrire et être un officiel est contradictoire.  Le secret du succès pour un officiel est de ne rien dire. C’est la différence avec une société démocratique, où s’exprimer est la norme. Quand un officiel chinois rejoint les rangs des hauts dirigeants, les médias disent souvent qu’il est très “secret”.  Il serait difficile d’imaginer qu’Obama soit une personne très secrète et  devienne soudain président des États-Unis sans que l’on sache rien sur lui.  En Chine, les officiels parlent peu, et cette caractéristique affecte toutes les professions.

Beaucoup de gens écrivent d’excellents papiers et c’est malheureux qu’ils arrêtent d’écrire.  A cause de la forte tendance à la bureaucratie, beaucoup de Chinois choisissent de devenir des officiels. Avec la plupart des ressources dévolues au système bureaucratique, les officiels profitent de nombreux avantages sans beaucoup de contrôle.

Ayant moi-même l’expérience des hauts et des bas, je connais ces contradictions. Selon l’expression consacrée, je n’ai pas “correctement contrôlé ma bouche”. J’ai besoin d’exprimer ce que je pense, et j’ai les moyens pour le faire. Je crois que ce qui manque dans les médias, ce ne sont pas des administrateurs mais des gens qui “font vraiment quelque chose”. Je suis prêt à y contribuer. J’ai choisi d’être éditeur parce que je voudrais améliorer la liberté de parole en Chine.

Tester les limites

Enfin, Chang Ping explique ses convictions et ses principes sur ce que  ce c’est d’être un journaliste dans un système autoritaire :

Je ne veux pas que mes articles soient complètement interdits en Chine.  Cela n’a pas vraiment de sens de n’écrire que pour les Américains.  Je voudrais que plus de Chinois puissent lire mes articles.  D’un autre côté, je ne peux pas me servir de cette excuse pour abandonner mes principes. Mais comme beaucoup de mes collègues au Southern Media Group, je ne me considère pas comme une force d’opposition au gouvernement, mais plutôt comme testant nos limites. Un système autoritaire n’est pas comme une société de droit, et les limites ne sont pas toujours claires. Il faut comprendre comment le pouvoir pense.

Quel espace avons-nous ? Personne ne sait, personne ne sait si on n’essaye pas.  Ce que j’essaye de faire, c’est d’élargir cet espace et ces limites. Mais c’est difficile.  Beaucoup de gens pensent que je m’attaque à un mur de pierre avec un œuf, et que je me surestime.

Mais je suis simplement mon caractère et mes convictions.  La censure des médias est parfois sévère et parfois plus laxiste. Quand elle est sévère, je ne peux même pas tenir ma position, et quand elle est laxiste, peut-être peut on aller plus loin.  Quoi qu’il en soit, je ne peux dire que ce que je peux dire.

Crédits photos cc FlickR quinn.anya, jiruan, SubZeroConsciousness.

Article initialement publié sur Global Voices.

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