Mon médecin, l’Internet et moi: bilan de santé

Le 5 août 2010

La médecine n'échappe pas aux bouleversements induits par l'arrivée de l'Internet. Mais la présence de la profession est encore timide. Retour sur une conférence organisée sur le sujet par le Conseil national de l'ordre des médecins au printemps dernier.

Si le médecin est toujours la référence et la première source d’information en matière de santé, il doit désormais faire face à une concurrence en ligne. En effet, 7 Français sur 10 consultent Internet pour trouver des informations à propos de la santé. Depuis le milieu des années 2000, on observe un développement de ces sites à la qualité variable et dont les intérêts ne sont pas forcément ceux de l’internaute. Un terrain que les médecins français investissent avec timidité : selon Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) en charge des technologies de l’information et de la communication, il y aurait environs 2000 sites de médecins en France, un chiffre à rapporter aux plus de 200.000 praticiens en tous genres.

Cette  situation a été évoquée en mai dernier lors d’un débat organisé à l’initiative du Cnom, “L’évolution de la relation médecins-patients à l’heure d’Internet” [PDF], qui présentait entre autres les résultats d’une étude menée conjointement avec Ipsos. [PDF]

Une offre légale variée

Actuellement que peut trouver un internaute en matière de santé ? L’éventail est large. On pense immédiatement aux portails généralistes dont Doctissimo est le leader ou encore Atoute.org du docteur Dupagne qui propose essentiellement des forums. Mais il existe aussi des sites d’échanges entre patients, via par exemple des communautés rassemblées autour d’une pathologie (diabète, cancer…), des sites d’associations (Association Française des Malades de la Thyroïde, association des malades et opérés cardiaques…) et des sites de médecins. Enfin, on attend aussi le développement des Espaces numérique régionaux de santé (ENRS) entériné par la loi Hôpital, Patient, santé et territoire et testé par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Tous ces sites sont a priori neutres.

En revanche, la vente de médicaments en ligne demeure interdite en France à ce jour, bien que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, ait annoncé que cette vente puisse être envisagée pour certains médicaments vendus sans ordonnance.

Qui consulte internet sur les sujets santé ?

Les personnes qui recherchent de l’information sont plus souvent de femmes, encore en charge du secteur ’santé’ dans la famille. Les malades sont logiquement bien présents, ainsi que ceux qui cherchent un médecin ou un spécialiste. Mais comme on pourrait l’imaginer, les plus âgés sont les moins enclins à adopter cette pratique, avec une fracture générationnelle autour de la ligne des 65 ans. Enfin, si on trouve des hypocondriaques, ils n’ont pas attendu le web pour donner libre court à leur marotte (cf Le Malade imaginaire, 1673).

Le médecin est toujours le référent privilégié

"Je vous écoute".

L’étude Ipsos montre qu’Internet talonne maintenant le médecin comme source d’information principale, avec respectivement 64% et 89%. Cependant, Internet ne dispose pas du même crédit : parmi les sources d’information auxquelles les Français font le plus confiance (deux réponses à donner), on trouve en tête le médecin (90%) et le pharmacien (40%), Internet arrivant en troisième (17%). En ligne, on se renseigne avant tout sur une maladie ou ses symptômes (65%), un médicament ou un traitement médical (42%), des conseils pratiques pour rester en bonne santé (42%) et des témoignages d’autres patients (17%).

Une évolution jugée positive

Les patients pensent que  cette évolution de l’accès aux informations sur la santé est positive. En effet, toujours selon la même étude Ispos, “36% considèrent que les relations qu’ils entretiennent avec les médecins sont devenues plus constructives et basées sur le dialogue, et 30% qu’elles sont plus franches qu’auparavant”. Certaines pathologies, pour des raisons de pudeur, par exemple, seront abordées plus facilement caché derrière l’écran de l’ordinateur. Il n’est pas facile de dire à son médecin de famille qu’on a des problèmes d’érection.

Au cours du débat Gérard Raymond, président de l’association des diabétiques, a souligné que l’objectif des internautes “n’est pas d’en savoir autant que leur médecins” : il y a là-dedans du cliché vendu par les médias. Le docteur Lucas nous a précisé que cela concernait surtout le médecin généraliste, en pleine crise : “Jusqu’à présent il se vivait comme sachant tout, or cela ne marche plus ainsi.”

En revanche, les patients souhaitent “pouvoir faire confiance à leur médecin et mieux dialoguer”. Le médecin endosse désormais un nouveau rôle : faire le tri dans les informations que le patient a récupéré sur le Net. Le patient est désormais aussi “capable d’interpréter les mots du médecin. Il sera dès lors un patient plus actif et davantage acteur dans sa maladie. Cela constitue un virage majeur dans la relation médecin-patients.”

Il apparait aussi une attente envers le médecin : “62% des Français affirment qu’ils consulteraient le blog ou le site Internet de leur médecin si ce dernier venait à en ouvrir un. [...] 38% des Français qui n’utilisent actuellement pas Internet comme vecteur d’information médicale seraient enclins à se connecter pour visiter le blog ou le site de leur patient.”

Du côté des médecins, les points de vue divergent. D’une part, la fracture observée chez les patients aurait tendance à se retrouver aussi du côté des praticiens : après 55 ans, Internet est moins intégré dans leur pratique. Or, en moyenne, le corps professionnel a 50 ans. Le professeur Lucas explique que les “anciens” auraient tendance à mettre en avant les dangers de l’Internet, son aspect “sulfureux” en regrettant la période passée. Il rajoute aussi le manque de temps.

Un point de vue que Marie-Thérèse Giorgio, médecin du travail et présidente  de l’association Médecins Maîtres-toile (MMT) qui regroupe des médecins webmasters   depuis 1998, nuance en évoquant un de leurs webmasters qui a plus de 80 ans et une fracture numérique générationnelle en train de se réduire.

En outre, d’après un sondage évoqué lors du débat, “la grande majorité des professionnels de santé seraient favorables à l’idée de prescrire de l’information médicale” et selon le sondage Ipsos, lorsque le patient indique à son médecin qu’il consulte des sites d’information médicale, deux tiers des médecins réagissent positivement. Le docteur François Stefani a aussi insisté sur l’intérêt du web : “Certains patients n’ont pas l’habitude qu’on les écoute et ne savent pas quoi répondre quand le médecin leur dit : “je vous écoute”. Internet constitue un formidable outil pour initier ce dialogue.“Il a également évoqué la consultation par chat, qui permet au médecin de connaître les questions que [les patients] n’osent pas lui poser.” Nous sommes donc loin de la diabolisation et du rejet évoqués par le docteur Lucas.

Le problème de la qualité de l’information

Comme tout thème traité sur le web, la santé a droit à des fortunes diverses. Pour aider à faire le tri, il existe des certifications. En France, c’est la certification HON (Health On Net), gérée par une fondation basée à Genève, qui est chargée de les certifier depuis la loi de 2004. “Ce dispositif existait déjà, nous n’allions pas réinventer la roue”, nous a expliqué le docteur Lucas. Mais elle n’a pas un caractère obligatoire et repose sur le volontariat. En France, elle surveille 1.600 sites et en a certifié 900. En revanche, elle ne signale pas les sites sujets à caution car ce n’est pas légal, a précisé Célia Boyer, directrice exécutive de la Fondation.

Le site du ministère de la Santé est certifié HON.

Parmi ses critères, Health On Net cite “l’indication de l’origine des sources d’information, l’indication des références scientifiques, la date de rédaction des articles, le but du site, le respect de la confidentialité, le financement et la différenciation entre la politique éditoriale du site”. Health On Net “évalue le contenu du site et s’assure qu’il ne délivre pas des messages publicitaires déguisés.”

Mais elle suscite des réserves. Pour  Marie-Thérèse Giorgio, “Il parait impossible de certifier le contenu, et des sites ont été certifiés HON sans qu’il semble qu’ils le méritent. Le docteur Dupagne [membres de MMT, ndlr] s’en est détaché, d’autres devraient le faire je ne vous le cache pas.” Dans un post assez cinglant, ce docteur s’en prenait à plusieurs points de la charte :

“Le point 5 n’est pas évident : justifier les bienfaits des produits présentés’. Le terme est vague, n’importe quelle enquête ou étude scientifique bidon peut être présentée comme une justification. Le sceau HONcode pourrait laisser penser à un lecteur naïf que tout ce qu’il va lire est validé. Or mieux vaut une information publicitaire que le lecteur sait décoder, qu’une information fausse labellisée à tort comme exacte.

Le point 6 est démodé et ambigu. Le professionnalisme veut-il dire que seuls les médecins peuvent écrire sur la santé ? Qu’un blogueur n’a pas le droit d’être anonyme ? Les blogueurs anonymes et/ou non professionnels sont parmi les meilleurs auteurs médicaux.

Les points 7 et 8 constituent le nerf de la guerre et ce sont eux qui posent le plus de problèmes. Les sites tenus par des gourous ou des illuminés ne constituent pas le principal danger sur la toile médicale. Ceux qui posent problème sont les sites commerciaux déguisés.”

La certification de Doctissimo, par exemple, ne fait pas l’unanimité : “Enfin, il est question dans les médias que Doctissimo obtienne le HONcode, ce qui serait le pompon. Malgré tout le respect que j’ai pour la réussite financière de ce site, la publicité est tellement bien intégrée au contenu qu’elle en devient parfois indiscernable.”

Capture d'écran de la HP de Doctissimo le 22 juillet dernier. Derrière la publicité, vous trouverez de l'information médicale.

Marie-Thérèse Giorgio complète : “Le site a mis plus d’une année à l’obtenir et Célia Boyer, directrice exécutive de HON, est consciente que ça ne fait pas l’unanimité et indique que la fondation peut  retirer la certification à tout moment“. “En plus la situation de cette certification reste ambiguë, ajoute la présidente de MMT, Doctissimo a annoncé qu’il l’avait [sur la partie éditoriale, ndlr] mais que, pour des raisons techniques, elle n’était pas présente sur le site [elle n'est toujours pas visible actuellement, ndlr]. Elle est en effet hébergée chez HON pour en garder le contrôle, or cela ferait tomber leurs serveurs en raison du trafic élevé“. Le docteur Lucas estime lui aussi que “la certification HON n’est pas très regardante”.

Ce qui ne veut pas dire que les contenus en eux-mêmes soient douteux : les bases de Doctissimo ont été jugés bonnes par les médecins que nous avons interrogés. Aux origines du site, il y a d’ailleurs deux médecins et l’équipe comprend des médecins journalistes et des journalistes scientifiques. Contacté à plusieurs reprises, Doctissimo n’a jamais donné suite à nos demandes d’entretien.

Une certification mal connue

De toute façon, encore faut-il que les internautes sachent que la certification HON existe. En effet, si 12 % des Français ne consultent que des sites certifiés, 71% des personnes consultant des sites sur la santé disent ne pas être capable de faire la différence entre les sites certifiés et les autres. Or, on peut y voirune certaine naïveté puisque 74% considèrent que l’information sur le Net est fiable. Célia Boyer souligne que “l’internaute néophyte en matière de santé sur Internet n’est pas conscient de la qualité des informations qu’il y trouve.”

En matière de fiabilité, il faut aussi souligner que le domaine de la santé n’échappe pas à une règle générale du web : l’autorégulation. “Lorsqu’il y a des aberrations, une personne normale les repère, de même que les trolls”, note le docteur Lucas. Le problème, entre autres, ce sont les personnes malades en position de fragilité psychologique, plus enclines à croire ce qui leur tombe sous la souris. De plus, les parties dynamiques -forum, chats…- sont évidemment plus difficiles à contrôler.

Le web social, ce douloureux problème

Dernier point et non des plus faciles, l’intégration de la dimension sociale du web. Sur ce point, les avis divergent, entre ceux qui ne souhaitent pas investir ce champ et ceux qui au contraire estiment qu’il faut y aller car les patients y sont. On constate déjà que des patients demandent à être “ami” avec leur médecin. MMT administre cent-dix sites, des blogs, des pages Facebook (dont la leur, à la timide trentaine de membres) et tweetent aussi.

Si investir le web est devenu un passage aussi obligé que le vaccin anti-tétanos, ses modalités restent donc encore à préciser et améliorer. Comment s’attaquer avec intelligence aux problèmes évoqués ? Échange de points de vue dans la suite de notre dossier.

J’arrête le HONcode (1) par le docteur Dupagne ; Le site de HONcode ; le site de l’AQIS (Association pour la Qualité de l’Internet Santé)

Le site de Médecins Maîtres-toile ; le blog de Denise Silber, consultante e-santé

Image CC Flickr SanforaQ8 et Seattle Municipal Archives

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